Faire semblant d’être normaux

ou Ironies tendres d’un espoir qui résiste

Cela se passe quelque part entre l’arrière salle d’un piano-bar où deux esseulés se seraient rencontrés, et puis nos rues, nos immeubles, parmi ceux que nous croisons tous les jours. Et cela se passe sur une scène de théâtre, mais raconte un drôle de va et vient un peu onirique entre délires et réalité, parce que l’on y suit avec étonnement et plaisir le récit d’un homme qui erre et s’interroge sur sa propre vie, interpellé par son « double musical ».

Alain Badiou a écrit que le théâtre commençait là où deux êtres se retrouvaient pour parler sur une scène, parler à d’autres, ou pour d’autres, même et surtout pour ceux qui ne sont pas là pour parler… Partition à deux, en piano-voix, voix parlées et voix chantées, à partir de textes de Giorgio Gaber, l’un des fondateurs du « teatro canzone » (théâtre – chanson),  « Faire semblant d’être normaux »  est de ces moments rares, impromptus et étranges,  ces instants de rêves éveillés, où s’interroge simplement notre « être-là », où deux êtres parlent à d’autres et pour d’autres de leur vie présente ou absente.

Derrière Benoît Valliccioni se profile l’ombre d’un Charlie Chaplin tombé à la mauvaise époque, à la présence physique à la fois si puissante et si tendre, qu’il sait évoquer ce qui parfois s’arrête au bord des mots, ces abymes infinis que nous frôlons sans cesse, et nous permettre d’en rire.

L’un des principes du « teatro canzone », ouverture entre vérité et parodie, est de permettre de dire un monde qui ne se dit pas ailleurs, un monde à part,  forgé de mystères : parce que souvent  chanter, c’est  chanter ce que l’on ne peut pas dire. « Faire semblant d’être normaux », par ses moments de dérision morale, parce que l’adresse des comédiens, aussi, fait tomber le  « quatrième mur », ouvre à l’interrogation, à l’interpellation sur ce qui se dit de nos vies « normales », dans les creux de cette « pantomime expressive ».

Alors si vous voulez respirer un peu, vraiment, glissez-vous pour voir « Faire semblant d’être normaux ». Parce qu’il est bien en fin de compte impossible d’être normal, et que l’on ne peut le supporter qu’en l’entendant ainsi dans le chant mélancolique, ironique de ces clowns magnifiques, à double face, qui savent rendre extrêmement léger ce monde parfois sans pitié.

Sophie Demichel-Borghetti

Faire semblant d’être normaux

Giorgio Gaber , Sandro Luporini

Mise en scène :Stéphane Miglierina

Avec  Benoît Valliccioni, Mattia Pastore

La Croisée des Chemins – 19h35

À propos de l’auteur

Docteure en philsophie
Comédienne
Ecrivaine

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