par F Rusjan
Maylis de Kerangal, en dédicaces à Bastia ,  répond aux questions habituelles : origine de l’histoire, conditions d’écriture, style reconnaissable, expérience personnelle. Elle se présente comme traductrice, je reste un peu circonspect à cette annonce. Elle nous parle de swell, de sentiments, de médecine, de villes, d’artères, de vaisseaux. Elle cherche et trouve le mot exact qui peut traduire son intention. Elle ne donne qu’une envie : lire au plus vite  Réparer les vivants
Dès le début de ce roman, on est emporté par l’urgence, l’urgence de lire rejoint celle de l’histoire, 24 heures pour sauver une vie. Mais ce n’est pas un thriller : l’urgence est dans toutes les pages, courir à l’hôpital, accepter la mort, accepter de faire un don d’organes, organiser les protocoles tout en respectant les parents endeuillés (les modalités d’entretien sont admirables de précision et de justesse), les corps brisés, les âmes fêlées.
Les phrases de Maylis de Kerangal sont longues, comme une vague qui nous emporte vers la rive et qui est toute en puissance, en beauté, en vrombissements. Les phrases roulent dans un rythme régulier, rapide. Chaque mot semble être réfléchi pour être au plus juste. Je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement avec le film de Alejandro Gonzalez Inarritu « 21grammes », le poids d’une âme : dans sa structure, dans son contenu, dans ses émotions. Les portraits des personnages sont magnifiques, dans leur joie éphémère, dans leur tristesse accablante, dans leurs doutes. On pourrait croire le livre mélodramatique, il n’en est rien, il est tout simplement dans le vrai. Il n’est pas déprimant mais il nous interpelle au plus profond de nous-mêmes : jusqu’à quand sommes nous vivants ? Jusqu’où sommes nous vivants ? Pour nous ? Pour les autres ? Pour l’humanité ?
Maylis de Kerangal est vraiment traductrice, une traductrice des émotions en mots, de larmes en encre, de tatouage en message, du vide en plein, de passions en malheur, de malheurs en espoir, d’espoir en apaisement.
C’est un roman sur une « passation », la « passation » d’un cœur, la « passation » d’une vie, «  la passation » dans l’au-delà d’un magnifique et innocent héros grec qui restera anonyme pour ceux à qui sa mort permettra de vivre. Pour tous, rien ne sera jamais plus comme avant.
Comme cela peut arriver dans une session de surf, tout a basculé.

Simon n’est plus une dépouille, c’est un homme pacifié après la bataille de bistouris, de scalpels, d’écarteurs, de sondes, de scopes, qui, accompagné par le chant rassurant d’un infirmier va rejoindre les Champs Elysées ou l’Ile des Bienheureux pour y jouir d’une jeunesse éternelle, sans peur, sans souffrance.

« Les Immortels t’emmèneront chez le blond Rhadamanthis,
Aux champs Élyséens, qui sont aux confins de la terre.
C’est dans ce lieu que la plus douce vie est offerte aux humains ;
Jamais neige ni grands froids ni averses non plus ;
On ne sent partout que zéphyrs dont les brises sifflantes
Montent de l’Océan pour donner la fraîcheur aux hommes. » L’Odyssée.

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