On recevra Philippe Granarolo le 25 août Domaine Orenga à Patrimonio

nietzsche

 
 

Par Jean-François Pietri

C’est un Livre-Fable, signalé dans le Prologue comme « un cadeau du destin » : des manuscrits inédits retrouvés par hasard, mais pas vraiment, à l’hôtel Eden de Sorrente. C’était en 1876 la Villa Rubinacci, et Nietzsche y a séjourné en compagnie amicale de Paul Ree, Albert Brenner et Malwida von Meysenburg. Ce fut le premier voyage en Italie, et d’abord la célébration mystérieuse de l’esprit grec en Méditerranée sur les lieux mêmes de son éclosion.
Cette plaisante lecture produit l’étrange résonnance de l’espace avec le temps : Nietzsche, venu à la Philologie par la Philosophie ( et non l’inverse, comme on le croit d’habitude), choisissait le passé des Grecs grâce à leur langue ; à Sorrente, puis à Gênes et Messine, il choisit les paysages méditerranéens du présent, avec leur lumière, leurs couleurs homériques qui relèguent au souvenir les grisailles de la terre allemande.

Philippe Granarolo abordait cette expérience philosophique dans un précédent ouvrage, L’ Individu Eternel, publié en 1993. Dans « Opinions et sentences mêlées » ( cité par P. Granarolo), Nietzsche , se demandant « Où il faut aller en voyage » répondait par une hypothèse : « Les trois derniers millénaires continuent vraisemblablement à vivre aussi à notre proximité, avec toutes les nuances et toutes les irisations de leur civilisation : ils ne demandent qu’à être découverts . »

Ce voyage dans l’Espace-Temps des Grecs- autant dire leur Cosmos- nous permet de visiter et mieux comprendre la pensée du philosophe de l’Eternel Retour. «  J’ai ressenti l’étrange impression  de devenir grec. Pas seulement du fait de mes pensées et de mes représentations, mais physiquement, dans mes muscles et dans mes nerfs. » Nietzsche pense à des ouvrages futurs comme s’ils  étaient déjà là, prenant leur distances avec les croyances religieuses ordinaires, faisant percevoir « à quel point je suis éloigné de la folie nationaliste de Wagner et de ma soeur Elizabeth ». Il efface en même temps le souvenir de livres passés , tel La Naissance de la Tragédie, « ce livre mal écrit qui a si puissamment contribué à me faire apparaître comme un penseur façonné par Wagner, comme un  nationaliste allemand mettant ses talents de philosophe au service de convictions politiques que j’ai en horreur. » Les lieux et les hommes qu’on y rencontre renouvellent l’expérience : «  A Naples, la ville en fête me confirme que le temps n’est pas linéaire,que des pans entiers du passé peuvent à  tout instant ressurgir ( …) A Capri, Malwida nous conduit jusqu’à la grotte d’un ermite. Je n’avais encore jamais rencontré d’ermite, et je me dis aussitôt qu’il pourrait constituer un personnage intéressant si un jour je viens à écrire une fable philosophique riche en personnages symboliques. »

Les notes de P. Granorolo en fin de volume s’avèrent précieuses, on y apprend que ce sera chose faite dans  Ainsi parlait Zarathoustra . Le lecteur des s voyage en Méditerranée avec Nietzsche, et aussi avec son oeuvre, autant qu’avec l’Esprit Grec. « Comment ai-je pu vivre si longtemps loin de cette mer sur les rives de laquelle, pour la toute première fois de ma vie, je me suis senti chez moi ? (…) Chaque coucher de soleil dans la baie de Naples m’a démontré que mon existence ne faisait que commencer après de longues années d’errance. Je sais à présent que j’ai assez d’esprit pour le Sud . »

Et la Corse, dans tout cela ? La Kallistè, la Cyrnos ? Après Messine, sur les traces d’Empédocle, ce sera malheureusement une occasion manquée, un projet de voyage, et même d’installation, qui ne se réalisera pas. Nietzsche, fasciné par Napoléon et Paoli, «était convaincu qu’existait sur l’île une morale qui avait survécu à l’uniformisation qui exerçait partout son emprise, ainsi qu’à l’épuisement qui affectait toute l’Europe. Il supposait la présence en Corse de forces telluriques faisant bénéficier la  population de l’île d’une énergie particulière. »

Empruntons donc les pas conjugués de Nietzsche et Philippe Granorolo, corse d’origine, qui a enseigné la philosophie au lycée Laetitia Bonaparte d’Ajaccio où il a débuté sa carrière et  après son service militaire en charge de la classe d’Hypokhâgne au Lycée de Bastia .

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