par Francis Beretti

Poetic Justice ELLIOT MURPHY
Roman éditions HachetteLittérature

Elliott Murphy, auteur, compositeur, interprète, qui a publié une vingtaine d’albums, « voulait écrire un roman qui deviendrait son western imaginaire, comme l’Homme des vallées perdues, Le train sifflera trois fois, la Poursuite infernale. »Et c’est vrai, on trouve dans Poetic Justice tous les ingrédients de ce genre. Une petite bourgade au nom improbable de Vendee,   perdue au fin fond de nulle part, avec une grande rue poussiéreuse battue par les vents, des bicoques en bois qui « semblent dériver sur cette terre stérile » abandonnée de Dieu. Des personnages hauts en couleur : des petites Chinoises forcées de vendre leurs charmes sous la protection d’un grand gaillard rouquin et bagarreur  venu d’Irlande,  des joueurs de cartes invétérés qui perdent leur mise et leur vie dans des saloons enfumés. Des anciens combattants de la Guerre de Sécession, sans foi ni loi, devenus casseurs de banques, un pasteur peu recommandable, un tueur à gages dandy, qui possède trois costumes identiques à fines rayures, et qui s’offre le luxe de se laver tous les jours, «  habitude peu répandue dans l’Ouest », dans cette masse de  cow-boys crasseux, et de desperados brutaux qui crachent leur chique en gros plan.

Mais le roman n’est pas banal. On s’y laisse prendre. A l’évocation des « sentiers des veuves » dans le port baleinier de Huntington, Long Island, l’endroit où les épouses des marins attendent de longs mois le retour de leur mari. Au croquis que brosse l’auteur du clergyman sans scrupules, mais non sans talent, nommé en Arizona  « où il convertissait les Indiens sous un soleil brûlant et parvenait à convaincre la tribu Yuma que l’enfer pouvait être plus chaud que le désert qu’ils considéraient être leur patrie ». 

Murphy joue avec toute la gamme de l’expression qu’il a choisie pour titre : Poetic Justice ; depuis  le sens le plus commun : « bien fait pour lui ! », « il l’a bien mérité ! », « C’est un juste retour des choses ! », « un crime ne reste jamais impuni », jusqu’au plus noble de « retribution » (la justice divine).  Le mobile central de l’action  est en effet la vengeance. Poetic Justice est une « revenge fantasy », comme on dit « heroic fantasy ». Un jour funeste, un jeune garçon, John Little, a vu son père lâchement assassiné ; il est dominé par une idée fixe : se venger. Il parvient à ses fins, jusqu’au moment où il se retrouve la corde au cou : « Adieu mon imagination ! Adieu, chère compagne, cher amour ! Je m’en vais, je ne sais vers quelle destination, ni vers quelle destinée, je ne sais si je te reverrai un jour, adieu donc mon imagination ! » cria-t-il aux spectateurs de sa pendaison. » Cette déclaration est démentie par tout le texte. Un western, sans doute, mais un western singulier. Parce que l’on a  du mal à imaginer des durs à cuire incarnés par Randolph Scott, Glenn Ford, Charles Bronson, Clint Eastwood  dévorer les exemplaires de Thoreau, d’Emerson, de Shakespeare, de Platon que Teddy Roosevelt a offerts au héros de Poetic Justice. On a du mal à voir des tueurs à gages déclamer des passages entiers de Walt Whitman, dont le poème  Leaves of Grass  est le livre de chevet de John Little.  

En dernière analyse, c’est bien là que réside l’originalité et le coeur du roman d’Elliott Murphy. La mention récurrente au poète ascétique à la barbe de prophète, Walt Whitman, le chantre des grands espaces, qui exalte la simplicité de l’expression, « la simplicité, c’est le  soleil des lettres ».

Whitman,  le maître qui donne sa recette de l’écriture : «  Parler, en littérature, avec la droiture et l’innocence des mouvements des animaux, et la correction irréprochable du sentiment des arbres , dans les bois , et de l’herbe au bord des routes, tel est l’impeccable triomphe de l’art ». L’intellectuel sensible à la culture des indigènes : Long Island, en Indien Delaware, c’était « Paumanok », c’est-à-dire « poisson ». Oklahoma, en choctow, signifiait « le pays des gens rouges » ( « okla »= gens : « humma » : rouge). Voilà le message de Whitman que transmet la favorite du maire de New York à John Little. Le chef-d’œuvre du poète, Leaves of Grass, « est une célébration du monde empli de miracles dans lequel nous vivons, en dépit de toute la cruauté et de toute la barbarie qui nous entoure ».

                                                                                     

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