Clerc – Au Moyen Âge, moine copiste qui traduisait et diffusait des oeuvres de langue ancienne en langue vulgaire ; par extension de sens, il désigne un homme cultivé.

Au Moyen Âge, le clerc occupait les charges ecclésiastiques basses. C’était à lui qu’était confiée la charge de traduire et de copier les manuscrits anciens en langue vulgaire. L’imprimerie n’existait pas, et le clerc diffusaient les oeuvres qui le méritaient. Très rapidement, le clerc représentait la personne ayant reçu une instruction. Il s’opposait aux laïcs, ceux qui n’en recevaient pas. Ainsi, en théorie, le clerc était éduqué dans le but de diffuser aussi bien à la classe lettrée qu’à la classe laïque la vérité. En théorie, car tous les spécialistes qui ont travaillé sur les manuscrits médiévaux ont pu relever, au-delà des scories, le risque de réécriture des textes qui pouvait tenter le clerc par simple idéologie : les modernes réécrivaient les anciens afin d’édifier leur public, et de les ramener ainsi à Dieu. Les clercs, loin de chercher la vérité, défendaient avant tout leur paroisse. De cette manière, le clerc prouvait déjà que le pouvoir provenait du savoir. Il était dans la nécessité de l’homme instruit de s’interroger sur sa manière d’écrire le savoir. Le clerc devait réfléchir à l’éthique à suivre.

C’est précisément le constat de Julien Benda dans La Trahison des Clercs. En 1927, l’auteur mettaient en garde les intellectuels français contre leur goût pour les « valeurs pratiques ». Pour Benda, l’intellectuel prône trois valeurs : ses idées sont « statiques, désintéressées, rationnelles » (P.145). Statiques : les idées doivent être stables et correspondre à la réalité : « Le clerc fait frein à ceux qui, au contraire, ne veulent connaître les valeurs humaines que dans leur soumission à l’incessant changement des circonstances » (P.146). La permanence des idées est le plus élément de pensée du clerc, car pour lui la pensée relève du bon sens et de l’évidence ; Désintéressées : les idées doivent répondre à un désir de justice et de vérité dans la mesure où il s’agit pour le clerc de renoncer aux intérêts personnels. Benda cite à ce sujet Gaston Pâris, célèbre médiéviste français, qui prononça ces mots lors de sa leçon inaugurale au Collège de France : « Celui qui; pour des raisons quelles qu’elles soient, patriotiques, politiques, religieuses et mêmes morales, se permet le moindre arrangement de la vérité, doit être rayé de l’ordre des savants ». Le fondement du clerc réside dans le fait de renoncer au fondement même de l’idéologie, soit ce double principe de distorsion et de dissimulation. Comme le soulignait Ricoeur, l’idéologie se définit comme « le procédé général par lequel le processus de la vie réelle […] est falsifiée par la représentation que les hommes s’en font ». C’est à la fois un désir de transformer le réel et de tromper l’autre sur ce qu’il voit. Rationnelles : le clerc ne doit pas attiser les passions humaines par lesquelles les idéologues abusent leurs auditeurs. Ils doivent user des valeurs dont « l’adoption implique l’exercice de la raison » (P.155). En ce sens, la passion de la justice et de la vérité doit autant être combattue par le clerc que la peur, la jalousie, la haine qui animent le discours des idéologues. Le clerc désigne donc une « tenue », elle réside dans le maintien des valeurs morales face à la presse, à la passion et à l’intérêt. 

Benda peut nous aider à lutter contre cet esprit partisan qui trouble notre époque. À des intellectuels comme Éric Zemmour qui se targuent du statut d’idéologue, Benda tend un terrible miroir. Sa critique contre Maurras, contre Renan, qu’il accusait de servir leur intérêt pratique au détriment de la vérité, peut aujourd’hui montrer comment des personnalités cultivées, désireuses de prendre leur vengeance sur la déconstruction des années 60, abusent des lecteurs devenus des idolâtres. Éric Zemmour le répète souvent : il débat pour se battre ; il défend un parti contre un autre, et tout comme Maurras qui disait « politique d’abord », Zemmour nous dit « Vérité ensuite ». Face à la mollesse, il réclame une France forte, et non une France juste ; il décrit un « ennemi intérieur » et la guerre à venir. Benda aurait sûrement vu en Zemmour le véritable parti de l’ordre, « valeur essentiellement pratique », lorsqu’il cite Montesquieu dans Grandeur et décadence des Romains : « Je n’ai qu’une ambition […] : rendre mon peuple fort, prospère et libre ». Quid de la vérité et de la justice ? Quid de l’enseignement critique ? Pour les nationalistes, point de salut dans la poursuite de la vérité. Choisir la France, c’est choisir le parti de la France contre tous les autres. Benda avait raison : il avait compris que le premier enseignement, pour ceux qui trahissaient les clercs, consistaient à renier leur foi première, la poursuite de la sagesse en Dieu : les catholiques ont été floués par leurs propres représentants, tout comme les citoyens ont été bernés par ceux qui se présentaient comme leurs défenseurs. Les faux dévots du XXIe siècle poursuivent un but, et il est évident que ce but n’est pas très catholique. 

Pour en savoir plus

Julien Benda, La Trahison des clercs, Paris, Livre de poche, collection “Pluriel”, 1977.

Paul Ricoeur, L’idéologie et l’utopie, Paris, Seuil, 2005.

Eric Zemmour, Le Suicide français, Paris, Albin Michel, Collection “essais”, 2015.