Jaquette colorée, qui interpelle, un peu surréaliste… Jonathan Coe est un auteur anglais très lu et ses romans La maison du sommeil, Prix Medicis étranger en 1998 ou La pluie avant qu’elle tombe avait retenu mon attention. Un titre un peu énigmatique pour ce dernier, avec ce numéro 11, donc j’en entreprends la lecture .

Au départ, avouons le, comme trop souvent, l’impression de s’être fourvoyé. Même bien raconté, un épisode quelque peu fantastique raconté par des personnages sans grand relief qui retournent dans leur enfance, qui se souviennent de leurs émotions d’alors lorsqu’elles avaient 10 ans, avec en toile de fond l’Angleterre et la vie de grands parents bien communs dans une époque bien contextualisée politiquement et socialement, ce n’est pas pour me passionner. Une entrée dans le 21e siècle et ses misères. Surprise encore car alors que se poursuit la lecture je me retrouve ailleurs, je perds le fil, me voilà dans d’autres univers, avec cinq histoires en fait : les enfants ont grandi, on retrouve un prénom, on a recours aux souvenirs de la première partie , est-ce là le lien entre ces récits ? Des personnages d’autres œuvres passés presque inaperçus, très secondaires, prennent ici du relief, créant l’intertextualité dans l’oeuvre de Coe. Sentiment d’une lecture incohérente et pourtant agréable car son style très fluide lui permet de nous amener où il veut, dans la tête de Val, dans les réunions au sommet, de nous faire assister aux dialogues de copines qui ne se perdent pas de vue sans que jamais rien ne semble conventionnel. Juste un aspect un peu hermétique parfois, qui fait qu’on se dit qu’on manque des éléments, qu’il ne faut pas se laisser gagner par la facilité apparente de la narration mais prendre du recul. Pas facile !

J’ai lu les trois quart du roman comme si je lisais des textes disparates, des nouvelles arbitrairement liées…Eh puis j’ai uni les éléments, malgré moi sans doute et j’y ai saisi une vision réaliste, sans concession, de notre société. On passe du sourire à la compassion, puis à l’agacement, à la révolte, à la lucide soumission.

Le numéro 11 est dans cette satire un fil d’Ariane et si je n’ai pas encore déterminé pourquoi le choix du 11, symboliquement, encore qu’on pourrait se dire que c’est son onzième roman, je nous ai reconnus dans ce livre. Voyeurisme, vanité, rejet de la différence, peur de vieillir, d’être oubliés, culte de l’argent avec spéculations à tout crin, recherche de gloire, volonté d’être le meilleur…

Deux extraits  :

« La table devant laquelle on lui avait de s asseoir. Le récipient aux parois transparentes, placé dessus avec, à l’intérieur…Oh mon Dieu. L’insecte, la…chose, le quoi déjà, le goliath, lui avaient dit les deux présentateurs avec des rires gras. Mais bon sang, il mesurait bien quinze centimètres, cet engin ! D’un vert vif, malsain. Six longues pattes grêles, un long torse avec une grosse carapace rigide et au bout…la tête, offrant une similitude troublante avec une tête humaine (antennes en sus), dont les petits yeux étaient levés vers elle, pleins de vie, aux aguets mais impénétrables. (L’expression de terreur qu’elle avait cru y lire ne pouvait être que pur anthropomorphisme-mon Dieu, faites qu’il en soit ainsi). Ensuite, on lui avait enjoint de passer une paire de lunettes en plastique (elle se demandait encore pourquoi), et de fermer les yeux en serrant les paupières, après quoi le dompteur d’insectes-si, si, c’était son titre officiel ! -s’était emparé de la pauvre créature infecte, et Val avait dû ouvrir la bouche toute grande pour qu’on l’y introduise-elle l’avait sentie en elle- elle l’avait sentie se tortiller, se débattre avec frénésie, ses longues pattes obscènes battant contre sa langue et son palais, dans la prison, la cage qu’était devenue sa bouche … » p 144

« -Je sais ce que vous voulez dire, mais j’essaie de voir les choses sous un autre angle. On a affaire à des gens qui n’ont pas la moindre notion de l’importance d’une chose quelle qu’elle soit s’ils ne peuvent pas mettre un prix dessus. Alors, plutôt que de les voir traiter par le mépris l’émotion, par exemple, il me semble qu’il vaut mieux que quelqu’un comme moi vienne les sortir de leur ignorance. Se faire l’avocat de la défense. C’est pourquoi nous avons inventé une nouvelle expression, la « valeur hédonique ». Elle renverrait, disons, au plaisir qu’on ressent à contempler un beau rivage, par exemple. Nous, nous essayons de prouver que ce ressenti-là vaut plusieurs milliers de livres et qu’à l’inverse le chagrin d’une veuve peut coûter 10 000 livres par an à l’économie. De cette façon, au moins,  ils vont reconnaître ces sentiments ; reconnaître leur existence, en tout cas.» p 334

L’auteur reçu à la Maison de la poésie pour ce roman : « Si l’on résume le livre, c’est l’histoire d’une amitié entre deux jeunes filles, Alison et Rachel, sur une période d’environ douze ans. À la fin du roman, après divers conflits et épreuves, leur amitié est la seule chose qui perdure — avec le prunier du jardin des grands-parents de Rachel. C’était important pour moi de laisser le lecteur sur cette idée : malgré tout ce qui ne va pas dans le monde en ce moment, il y a certaines qualités humaines naturelles qui survivent, donc il ne faut pas désespérer. » 

Informations utiles

Jonathan Coe, Numéro 11, Paris, Gallimard, coll. « du monde entier », 2016, 448 pages, 23 euros. 


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