À l’occasion du Festival du film italien, qui se déroule à Bastia jusqu’au 11 février, nous vous proposons ce texte de Pierre Lieutaud, Cinéma, accompagné d’une traduction d’Emile Pucci. 

En français

La façade du vieux cinéma enrubannée de fresques roses et mauves montait dans la nuit piquée d’étoiles endormies où se croisaient les traces blanches des tuyères d’avions. Je sortais de la salle numéro  trois. Les spectateurs glissaient leurs corps de peluche dans l’habitacle arrondi des autos, les phares s’éclairaient, les moteurs rugissaient, les regards se croisaient. Je marchais, cherchant à passer inaperçu, évitant de regarder les passants. J’avais peur qu’ils aperçoivent le film que je venais de voir et que je traînais derrière moi comme un chalut encombrant…Je le sentais accroché à ma silhouette, retenant mes pas à l’angle des ruelles, m’obligeant à m’arrêter quand je croisais des passants, me faisant vaciller sur leur passage. Sans les voir, aux contorsions qu’ils m’imposaient, je percevais la pudeur des personnages du film.

Tu verras, s’il t’arrive un jour pareille chose, combien il est difficile de s’en détacher. On ne peut les quitter que s’ils le décident et alors, brusquement, tu te trouveras mou, tes pas auront des bottes de sept lieues, tu seras si léger que les traces des avions dans la nuit te paraîtront à portée de tes doigts. Pour le moment, je traînais mon chalut dans les rues de la ville…Les pas des personnages résonnaient dans ma tête, peu à peu ils s’approchaient de moi, continuant leurs dialogues sous les étoiles. J’avais l’impression que le filet se recroquevillait, que je tirais du fond des mers une poche grillagée de cordages, pleine de tous ceux qui gesticulaient ; le chalut remontait lentement vers moi, les personnages me prenaient doucement par la main et me soufflaient des reparties et des bribes de phrases inconnues. Il faut te dire que j’avais une grande admiration pour l’acteur principal. C’était lui qui, bien plus souvent que les autres, me parlait a l’oreille.  Il me disait que son film continuait après la dernière image, que la version intégrale de tous les films qu’aucun cinéma ne projetait jamais, n’avait pas de fin. Elle avait pénétré la vie des spectateurs, comme le ferait une greffe profonde et s’y développait toute leurs vies durant. Je me sentais prisonnier…

Il est impossible, quelque soit l’admiration que tu aies pour ce personnage, de le laisser jouer de ta vie. J’ai pu me détacher de lui par hasard ; j’étais allé un soir d’été voir un autre film dans le vieux cinéma et je marchais entre les autos, résigné à sa présence habituelle. Des groupes de spectateurs m’entouraient. Ils sortaient de la salle numéro trois et venaient de voir le film dont je t’ai parlé. L’acteur principal parlait plus fort qu’à l’habitude, répétait sans cesse les mêmes mots, les mêmes phrases, les mêmes conseils. Pourtant, sa voix s’éloignait de moi et brusquement, je me suis senti léger, libre de marcher, de courir; il avait suivi les autres spectateurs.. Tout de suite après, quelque chose a ralenti mes pas; les acteurs du film que je venais de voir traînaient dans mon filet sur les trottoirs de la nuit. Ils se sont rapprochés de moi et m’ont pris par la main…

Tu comprends ce que sont les acteurs, des séducteurs de l’instant qui t’oublient sitôt que d’autres spectateurs les regardent.  Il en est un, pourtant, qui ne me quitte pas. Je ne l’ai vu qu’une fois et aucun des grands acteurs dont je t’ai parlé ne me l’ont fait oublier. Il me suit et m’accompagne jour et nuit, il répond à ma place aux quolibets avec la répartie que j’ai rêvé d’avoir, il fait dire aux passants et aux interlocuteurs obligés de la vie habituelle ce que j’aimerais qu’ils me disent, il échafaude pour moi des projets qui coïncident de la façon la plus exacte avec ce que je veux faire, il calme l’angoisse des nuits, éclaire les matins….Le soir, quand je traîne mon chalut dans les rues de la ville, il est là, et sous le ciel étoilé embrouillé des traces des tuyères d’avion, nous parlons de tout, de cinéma, du temps qui passe…

En italien

La facciata del vecchio cinema ornata con affreschi di color malva e rosa si ergeva nel cielo della notte punteggiato di stelle addormentate dove si incrociavano le scie bianche delle boccaglie degli aerei. Uscivo dalla sala numero tre. Gli spettatori infilavano i loro corpi felpati nell’abitacolo arrotondato delle auto, i fanali si accendevano, i motori rombavano. Camminavo, con l’intento di passare inoservato, evitando di guardare i passanti. Temevo che scorgessero il film che avevo veduto poco prima e che mi trascinavo dietro come una sciabica….Me lo sentivo agganciatato al mio corpo, frenando i miei passi ad ogni cantonata, costringendomi a fermarmi quando incrociavo  qualcuno  e mi facendo allora vacillare. Dalle contorsioni che mi imponevano, senza che io li vedessi, avertivvo il pudore dei personaggi del film.

Ti accorgerai, se ti capiterà un giorno una cosa simile, quanto sia difficile staccarsene. Li si può lasciare soltanto se essi lo decidano e quindi, di colpo, i piedi calzati di stivali dalle sette leghe, sarai così leggero che le scie degli aerei nella notte ti sembreranno a portata di mano. Intanto io trainavo la mia rete per le vie della città. I passi dei personaggi risuonavano nella mia testa, e a poco a poco si facevano più vicini, proseguendo i loro dialoghi sotto le stelle. Avevo l’impressione che la rete si raggomitolasse e che io tirassi fuori dagli abissi una sacca chiusa con cordami, colma di tutta quella gente gesticolante ; la rete risaliva lentamente verso di me, i personaggi mi prendevano affettuosamente per mano e mi suggerivano delle battute e dei frammenti di frasi ignote. Sappia che provavo una grande ammirazione per l’attore principale….Costui mi parlava all’orecchio molto più spesso degli altri. Mi diceva che il suo film continuava anche dopo l’ultima immagine e che la versione integrale di tutti i film ( che nessun cinema proiettava mai ) non aveva fine. Essa si era inoltrata nella vita degli degli spettatori, come avrebbe fatto un innesto profondo e vi ci cresceva vita durante. Mi sentivo prigioniero….

Qualunque sia l’ammirazione che tu provi per il personaggio di un film non ti devi permettere che si giochi così della tua vita. Egli mi ha lasciato per caso una sera d’estate. Ero andato a vedere un altro film nel vecchio cinema e camminavo in mezzo alle auto, rassegnato alla sua solita presenza. Gruppi di spettatori mi assediavano e mi spingevano. Uscivano dalla sala tre, dove avevano visto il film di cui ti avevo parlato. L’attore principale parlava più forte del solito, andava ripetendo le stesse frasi, le stesse parole, gli stessi consigli, però la sua voce si allontanava a poco a poco da me… Ad un tratto, mi sono sentito leggero, libero di camminare, di correre. Aveva seguito gli altri….Subito dopo, qualcosa ha rallentato I miei passi: gli attori del film visto poco prima mi venivano dietro sui marciapiedi in quella stessa rete. Si sono fatti vicini e mi hanno preso per mano.

Capii allora che bastava soltanto aspettare il momento di tornare al vecchio cinema per cambiare personaggi. La consapevolezza che ho adesso di ciò che mi è accaduto, e mi accade tuttora, mi ha imparato che, per non affezionarsi agli attori e menare una vita normale, bisogna vedere un film alla settimana. In tal modo, cambierai ogni volta di attori e non ti affezionerai a nessun….Vi è un personaggio però che non mi lascia mai. L’ho visto una volta sola, e mai ho potuto dimenticarlo. Mi segue e mi accompagna giorno e notte, risponde al mio posto ai lazzi con la battuta che avrei prediletto, fa dire ai passanti e agli interlocutori d’obbligo della vite quotidiana ciò che mi piacerebbe dicessero, concepisce per me dei progetti che coincidono perfettamente con quelli che ho sognato, lenisce l’angoscia delle mie notti, illumina le mie albe…. La sera è lì, quando traino la mia rete per le vie della città… Sotto il cielo stellato intorbidito dalle scie delle boccaglie degli aerei parliamo di tutto, di cinema, del tempo che passa…

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