U Ingallaratu
Santu Casta
Jouet du destin
Le héros principal du roman de Santu Casta, Tiadoru Poli, quoique portant le nom d’un bandit et fameux révolté, habite Alisgiani dans les années 20, précisément à Pinzalone, hommage sans doute de l’auteur à ce T.P.Peretti que les enfants du « riacquistu » lisaient naguère dans l’anthologie de Ceccaldi. Ce sont là des signes de connivence qui poussent de prime abord à la découverte d’un nouvel ouvrage qui a obtenu cette année le prix de la fiction en langue corse.
Roman historique, pourrait-on dire, puisque l’Alisgianincu, orphelin de père et d’une famille pauvre, part pour le front de la seconde guerre mondiale sur la ligne Maginot et est aussitôt fait prisonnier dans le désordre né du faible savoir-faire du commandement militaire de l’époque : ce sont des choses connues. A partir de là, pour notre paysan qui ne sait parler que le corse et ne connaît rien d’autre que sa région natale, tout change dans sa vie mais ses qualités de travailleur honnête, de chasseur de réel talent et de solide intelligence l’aident à s’adapter au mieux à chaque situation nouvelle. L’auteur nous entraîne avec lui dans ces découvertes, d’une culture rurale simple et pratique à celle du soldat et du prisonnier, puis à celle du fugitif dans chaque pays atteint, et nous tremblons à tout ce qui lui arrive, à toutes les mésaventures du jeune homme qui arrive à tirer pourtant son épingle du jeu chaque fois avec sagesse et courage. Il se fait ainsi des relations de toute origine et certaines lui portent beaucoup d’estime en tout lieu et dans chaque situation.
Les chapitres se suivent, drus des nouveautés que l’auteur nous dépeint par des descriptions riches et précises, par le développement d’actions périlleuses et redoutables, et nous fait connaître des personnages, des usages, des manières d’être et de vivre, nous faisant voyager aussi en d’étranges pays, du côté de l’orient russe et ses cent provinces colorées jusqu’aux confins de Mongolie. C’eût pu être un parcours un peu longuet même pour le lecteur, mais Casta a su astucieusement dérouler son histoire et a organisé habilement l’odyssée de l’Alisgianincu en donnant point par point des informations précises et intéressantes qui pourraient être quasiment des leçons de géopolitique moderne. La documentation est bien assurée et chaque élément est cohérent avec l’histoire individuelle de Tiadoru Poli. La question de la langue et des possibilités d’intercompréhension est évoquée aussi, favorisée bien entendu par les qualités foncières du villageois qui tient en haute estime sa propre culture sans nier ou refuser celles des autres qu’il sait observer, apprécier plus ou moins, sans jamais mépris ni embarras. De ce point de vue aussi il s’agit d’un roman d’éducation baigné de fraîcheur et de pureté puisque le dit « ingallaratu », quoique entraîné comme une feuille par les vents fous de l’histoire, tente toujours de tirer de chaque situation quelque enseignement, quelque étude, quelque expérience, sans fatuité ni prétention. Cela nous le rend sympathique tout comme le trouvent sympathique plusieurs de ceux qu’il rencontre, qu’ils fussent hommes ou femmes, amitié et amour mêlés.
Il est certain que les nombreux noms cités en masse, ceux des lieux et ceux des gens, peuvent déconcerter le lecteur, surtout lorsqu’il y a des coquilles d’imprimerie à cause d’une relecture imparfaite par l’éditeur. Lorsque l’on a affaire à une langue de l’oralité, avec de nombreuses variétés et localismes divers, et sans assez de références assurées comme dans une langue d’ancienne tradition scripturale, il faut veiller à l’écriture et à la qualité de l’objet imprimé pour aider aussi à l’apprentissage que chacun fait toujours en lisant.
(Santu Casta, U Ingallaratu, édition Misteri, collection Fiumana, 2011)
Jacques Fusina


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