Pour présenter le deuxième roman de Jean-François Roseau, La Chute d’Icare, publié aux Éditions de Fallois, Anne-France Agostini nous propose sa lecture de ce texte. 

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Exploitant les zones d’ombre de la légende aux lumières contrastées de l’histoire et de l’imagination, La Chute d’Icare est d’abord un roman. Avant de se plonger dans le récit, on se laisse doublement interpeller par l’illustration de la couverture ainsi que par la bande rouge où figure la mention suivante : «  le roman d’Albert Preziosi, un héros de légende ». D’abord la bande : cette indication succincte ne laisse aucun doute sur le sujet central de ce roman : Albert Preziosi, un nom familier à la plupart des Corses, enfant de Vezzani, inscrit sur l’honorable liste de ceux qui ont offert leur vie à la Patrie. Il est surtout connu grâce à la modeste plaque de marbre érigée à Bastia, et rappelant aux passants qu’au 2 de la rue de l’Opéra, aujourd’hui rue César Campinchi, a vécu un grand aviateur de l’escadrille Normandie-Niemen. On se souvient aussi de lui grâce à la base aérienne militaire de Solenzara qui a reçu son nom. Ensuite, la couverture : celle-ci étonne par sa simplicité. Un homme-oiseau, le cœur en feu perdu dans les étoiles. Il s’agit en réalité d’un collage de Matisse intitulé La Chute d’Icare  daté de novembre 1943, année de la disparition de Preziosi. Sous cette illustration, le nom de l’auteur Jean-François Roseau, dont les racines maternelles plongent au plus profond de la terre de nos montagnes de Castagniccia où il a toujours passé ses vacances et continue à le faire.

Et sous son nom, le titre…et quel titre ! La Chute d’Icare,  enfant de Dédale – architecte de Minos qui avait été enfermé avec son fils dans le labyrinthe du Minotaure pour ne pas révéler le moyen de s’en échapper -, et qui, volant grâce aux ailes conçus par son père, voulut atteindre le soleil. La suite, on la connaît : il se brûla les ailes. Icare, comme Sisyphe, comme Prométhée, appartient à ces héros de l’Antiquité qui n’ont pas pu se résigner à la finitude humaine et ont cherché à égaler les Dieux ou, ce qui est la même chose, à se soustraire à la fatalité de la mort: Icare en voulant toucher le Soleil, Prométhée en volant le feu de l’Olympe pour le donner aux hommes, Sisyphe en tentant d’enchaîner la mort. Comme eux, Preziosi s’oppose à la résignation, rejette les compromis, et incarne en cela, non pas l’orgueil, mais l’espérance. Ouvrez le livre, au fil des pages, vous découvrirez l’enfance, l’adolescence, les rêves d’un enfant de la Corse, le parcours d’une vie fulgurante, riche d’amitiés, d’amours, d’espérances et dont la fin rejoint celle des héros.

Comment Jean-François Roseau a-t-il voulu tirer de l’oubli ce héros authentique ? Tout simplement et sûrement parce qu’il a grandi sous l’affectueux regard de son Babone, ami de lycée de Preziosi et dont l’amitié se poursuit au-delà de la mort, dans le souvenir, par la mémoire.

C’est dans cet entre-deux guerre que Albert Preziosi a grandi, étudié, servi, rêvé et donné corps à sa passion… Voler. Pour parler d’Albert Preziosi, l’auteur remonte aux récits envoûtants du Babone. Ce dernier, convoqué de pages en pages avec tendresse, raconte au narrateur le temps de son enfance, du village, de l’insouciance, du Lycée à Bastia, de leurs professeurs et des étudiants qui quittent la Corse en se dispersant selon leurs ambitions. Il évoque l’aviation, rêves et réalités omniprésents. Balbutiante, l’aviation avait déjà ses premiers héros, tel Guynemer dont la devise, « faire face », inspira plusieurs générations.

Dans ce roman nous sont livrés la genèse et l’accomplissement des aspirations, de l’enthousiasme et de l’engagement d’Albert Preziosi ; de son envol vers l’Angleterre à son engagement en URSS.Rappelons ici que Preziosi, connu chez nous, quasiment oublié ailleurs, est l’un des premiers résistants français. Quittant la base aérienne de Royan, avec d’autres pilotes, il décolla le 17 juin, contre les ordres officiels, et ce, avant l’Appel du Général de Gaulle le 18 juin 1940. Preziosi n’a que 25 ans à ce moment-là. Tout au long du récit, l’auteur nous fait vivre les périodes d’insouciance, les longues attentes, les batailles aériennes et aussi le mystère qui fait d’une biographie un roman. Ce mystère, c’est celui d’une rumeur ayant entouré Preziosi jusqu’à aujourd’hui, et qui en a fait le père du guide libyen, Mouammar Kadhafi, sur la foi de détails dispersés (avion abattu dans le désert de Libye, soin apporté par des Bédouins, liaison avec Aïcha…).

Pour ce qui est de l’écriture, on se laisse emporter par sa fluidité, sa justesse et sa vivacité. La richesse de la langue est troublante, le phrasé, lui, nous capture et nous berce. L’auteur nous fait voyager en Corse, sur les bases militaires du Continent, à l’étranger, en Angleterre, en Egypte, en Libye, au Liban, puis en Russie… il nous fait rêver et en même temps prendre conscience du courage des pilotes, et de la rudesse de leur vie d’exilés. Les descriptions sont si vivantes, précises, puissantes et denses qu’elles nous vrillent à la lecture, il est difficile de s’en détacher.

Enfin, nous ne passerons pas sous silence l’attachement indéfectible à la Corse tout au long du roman. Albert Preziosi se rend à Westminster Abbaye à Londres pour s’incliner devant le buste de Paoli, il parle corse avec le lieutenant-colonel Michaelli, ses amis le prénomment quelquefois Le Corse ; et lui rêve à la fierté des siens quand il reviendrait à Bastia « le front couronné de gloire ». Quel beau roman ! D’aucuns se reconnaîtront ou reconnaîtront les leurs, dans les traits vifs et précis de Preziosi.

Quelques mots sur l’auteur : Jean-François Roseau est né en 1989. C’est son deuxième roman. Le premier, intitulé Au plus fort de la bataille, s’inspire de la découverte dans le IXe arrondissement de Paris de lettres de Poilus, que Roseau fait revivre de façon romanesque mais toujours en s’appuyant sur des faits réels. Philippe Martinetti l’avait reçu pour parler de ce livre au cours de l’émission du 18h30, il y a deux ans. Quant au roman que nous avons évoqué, il vient de sortir, en août 2016, aux éditions de Fallois. Jean-François Roseau a fait des signatures à Bastia, Porto-Vecchio et Ajaccio au cours du mois d’août. Depuis, ce roman est dans les rayons des libraires.


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