Marie-France Bereni Canazzi propose  de se demander avec Débâcle, roman de Lize Spit, ( traduit du néerlandais) , paru chez Actes Sud,  à quoi peut servir un bloc de glace

Superbe couverture pour un roman inattendu d’un auteur assez mal connu du grand lectorat ! Le titre signifierait “la fonte” mais les éditions Actes Sud ont choisi le terme Débâcle et pourquoi pas ? !

C’en est une, comme il y en a tant dans les vies, ordinaires ou pas.  Ce livre est un roman d’analyse sociologique, un thriller aussi à sa façon. Il constitue une illustration de ce que peut être la famille, de la difficulté de grandir aussi vite que son âge, de garder vivant ce qui se meurt et surtout  de l’impossibilité en certains cas d’oublier .

Back to the future 
L’enfance s’était passée, avec leurs jeux, leur amitié, leur solidarité ; l’adolescence les a cueillis, mal préparés comme tous ceux qui se transforment et ne savent où ils vont arriver, ce qu’il va advenir d’eux. Ils étaient trois , nés la même année, dans le petit village belge de Bovenmeer.

Trois gamins, deux garçons et une fille, Eva, la narratrice, ont grandi dans la plus grande des proximités ; des familles bien différentes, des problématiques aussi variées. Enfants de cadre, d’agriculteurs, de commerçants, les « trois mousquetaires » sont inséparables, à l’école, dans les prés, sur les grands routes… Jusqu’au moment où, vers 12-13 ans, la sexualité distingue violemment les goûts d’Eva et ceux des garçons.
Pim et Laurens veulent tout savoir des filles, les connaître et les manipuler, sans doute pour se rassurer ; Eva se fait leur complice pour rester avec eux et ils mettent au point des jeux cruels, des pièges qui conduisent leurs petites camarades, naïves, à se déshabiller, à accepter des gages qui les obligent à se laisser tripoter.

Quand le désir est omniprésent
Eva participe , observatrice. Mais aussi parfois engagée dans l’action, elle essaie de faire sienne la quête de ses deux amis, qu’elle voit lui échapper, tout pris englués qu’ils sont dans la gestion de leur désir. Elle sait que leurs jeux sont pervers mais n’oppose aucune résistance.

Les garçons profitent cet été là d’une énigme posée par Eva pour humilier les filles qui ne savent pas y répondre ; sauf qu’un jour le test tourne à leur désavantage, parce que l’une d’entre elles est plus aguerrie,  Eva ne pourra l’oublier.

Lorsqu’on commence la lecture, Eva adulte raconte son présent (de retour incognito sur les lieux de sa jeunesse) et replonge dans le passé, à ce moment particulier de l’événement qui est associé à la mort du frère de Pim : le lecteur se demande ce qui justifie cette remontée de souvenirs, ce qui justifie son retour sur ces traces d’hier : il faut du temps pour dénouer quelque peu la trame, mais c’est savamment orchestré, on continue à lire, à écouter cette musique lente et obstinée qui sait nous émouvoir , dans l’observation du détail, la description des contradictions de l’adolescence, le regard porté à la différence, comme celle de la petite sœur d’Eva, Tessie, si fragile.

Lize Spit réussit à traduire avec force la dureté de ce moment, la difficulté de perdre ce qui apparaissait comme une forme de bonheur, celui de l’enfance, de l’insouciance. La nostalgie des moments perdus, le nécessaire détachement, la reconstruction quand on est la 3e pièce d’un trinôme qui se rompt, surtout quand on n’a pas le cadre stable et aimant d’une famille, autant de ruptures, de tentatives pour rattraper ce qui s’enfuit.

La création réussie d’un univers
Lize Spit écrit bien, sait raconter. Il faudra compter avec elle.
En quelques mots elle crée une ambiance, un univers, une tragédie . La jeune femme qui évolue sous nos yeux, pratiquement seule et dissimulée , Eva devenue grande,  s’immisce dans les appartements, regardent ceux qui l’ont entourée jeune, sans qu’on sache ce qu’elle fomente. Peu à peu on devine du ressentiment, de la détermination, la menace d’une vengeance mais quand, comment, pourquoi, laquelle, contre qui ?

C’est sans doute cela l’art du suspense car si on sait qu’on évolue inexorablement vers un point de non retour, on ne sait ce qu’il sera…

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