Elle était à la fois chanteuse, pianiste, auteure et compositrice. S’épanouissant avec la même virtuosité dans le gospel, le blues, le jazz et la soul, elle est aujourd’hui considérée comme l’une des artistes américaines les plus influentes. Retour sur le parcours de la géniale Aretha Franklin.

Par : Elvire Bonnard

En 2009, lorsque Aretha Franklin chante My Country, Tis Of Thee à Washington lors de l’investiture de Barack Obama, il nous plaît de penser à son émotion quarante ans presque jour pour jour après l’assassinat du pasteur noir Martin Luther King.

Car toute l’enfance et la carrière d’Aretha sont imprégnées de cette longue marche vers la reconnaissance. Son père, Clarence LaVaughn Franklin, est un célèbre pasteur baptiste, mais est aussi un militant, ami de Luther King. En 1963, il l’accompagne dans sa longue marche sur Woodward Avenue à Détroit.

Et si Aretha est née à Memphis le 25 mars 1942, c’est à Détroit qu’elle passe la plus grande partie de son enfance.  Lors de l’enterrement du pasteur assassiné, elle reprend l’émouvant Precious Lord qu’elle chantait à quatorze ans dans l’église de son père, avant d’être enregistré chez Chess en 1956.

Du gospel au blues

Le père d’Aretha est un célèbre avocat de la cause noire, n’hésitant pas à monnayer ses sermons (douze d’entre eux seront enregistrés chez Chess, dont le fameux « The Eagles Sterreth Her Nest », un classique du genre) jusqu’à 4000 dollars.

Toute l’éducation d’Aretha sera portée par le gospel. « Mon cœur appartient toujours au gospel », dira- t-elle dans le célèbre interview du Time dont elle fait la couverture en 1968. Son père tourne alors avec The Clara Ward Singers, (seize albums chez Chess) et elle l’accompagne deux années de suite en tournée. Elle l’admire pour son honnêteté et sa sincérité.

C’est le pasteur Franklin qui est son premier coach, avec Sam Cooke, l’un des grands créateurs de la musique soul, et habitué de la maison. À l’âge de neuf ans, lorsqu’elle exprime le vœu de devenir chanteuse, Sam Cooke se fend d’un « si tu veux chanter, jeune fille, chante ! » Plus tard, son père lui emboîtera le pas : « si c’est ce que tu souhaites faire, alors tu dois le faire ! », l’encourage-t-il lorsque sa fille souhaite s’écarter du gospel pour aller vers le Blues.

Douze albums en six ans

L’enfance d’Aretha fut loin d’être malheureuse. Bien que sa mère ait quitté son père et leurs cinq enfants lorsqu’Aretha avait six ans, et qu’elle décède lors de ses dix ans, elle passe des moments insouciants avec ses frères et sœurs, à grimper aux arbres et à s’écorcher les genoux. « J’étais un vrai garçon manqué », se souvient-elle. Elle aime l’école. Mais sa fascination va vers la musique. Il y avait de la musique partout, chez elle et à l’église. On lui paye un professeur de piano, mais son goût de l’improvisation lui fait refuser une discipline trop scolaire.

Ce n’est qu’en 1997 qu’Aretha se remettra au piano classique. Malgré cela, c’est une excellente pianiste, dont Jerry Wexler, qui l’enregistre pour Atlantic Records, dira qu’elle ne vaut pas moins que Ray Charles, lui aussi produit de la mythique maison d’Ahmet Ertegun. Adolescente, elle en joue avec ses sœurs et ses amis.

En 1961, un ami de son père, Major Mule Holley, la fait rentrer chez Columbia Records. A 18 ans, elle part à New York. Elle signe avec John Hammond Today I Sing The Blues (qu’elle reprendra une dizaine d’années plus tard). Ce titre est déjà prémonitoire de ses futurs enregistrements pour Atlantic. Elle enregistre douze albums en six ans sous la férule de Hammond, (découvreur également de Bob Dylan) qui reconnaît en elle la plus belle voix depuis Billie Holliday, qu’il a aussi découvert. Mais il se contente d’exploiter le versant jazz de sa voix, sans en exploiter les multiples possibilités.

Un modèle pour de nombreuses chanteuses

En 1966, Aretha signe chez Atlantic. C’est Jerry Wexler, perfectionniste créatif et géant du Rhythms and Blues, qui va découvrir et libérer les quatre octaves de la voix d’Aretha sur I Never Loved A Man.

Elle importe ainsi le son de Memphis et de Muscle Schoals  (en Alabama), à New York. Contrairement à la Motown de Détroit et ses tubes pour jeunes filles prépubères, Atlantics recherche en effet des voix adultes, à l’opposé des Supremes. Or, à 25 ans, Aretha n’est plus une enfant. Mariée à Ted White, son premier manager, elle a déjà deux fils de onze et huit ans.

Ecoutons Wexler se souvenir : « à l’heure actuelle, toute la musique pop est habituée au gospel. Mais il faut se rappeler qu’il y a cinquante ans personne ne chantait comme Aretha ». Elle va devenir un modèle pour des chanteuses telles Dona Summer ou Whitney Houston.

Le pouvoir de la Soul

Et puis … arrive Respect en 1967. Cette reprise de la chanson d’Otis Redding sortie en 1965. Aretha va en faire un hymne féministe en même temps qu’un symbole du combat pour les droits civiques. Même si elle reconnaît n’avoir que peu souffert de discrimination. Mais en avoir toujours conscience, elle a bénéficié des portes ouvertes par ses grandes sœurs, telle Ella Fitzgerald.

Pour Aretha, « la soul est la capacité de faire sentir aux gens ce que vous ressentez ». La Soul crée l’empathie. L’âme de l’artiste transmetteur entre en osmose avec le public récepteur.

La beauté de la musique associée à l’intégrité du chant brise la chaîne maléfique et masochiste de ses consœurs Bessie Smith et Billie Holliday. Pour une fois, on ne demande pas au « mec » de revenir.

Aretha devient une icône

Plus tard en 1985, Aretha chantera avec Annie Lennox d’Eurythmics Sister’s are doin’ it for themselves. Prolongeant la filiation de cette fierté. Pas seulement d’être black, comme le revendique James Brown dans I’m Black And I’m Proud, mais également femme. Cet engagement allié à l’association de la musique populaire et de la spiritualité rapprochent beaucoup Aretha du politique Marvin Gaye de What’s going on. Mais l’éloigne de plus en plus des bluettes pour adolescentes incarnées par les Supremes. Aretha devient une icône, The Queen Of Soul, même si ce surnom flatteur apparaît réducteur sous bien des aspects.

Car de Détroit jusqu’en Alabama, en passant par Atlantics à New York, Aretha n’a cessé d’explorer toutes les ressources et les versants des musiques vernaculaires. Wexler l’a bien compris, lui qui la fait enregistrer justement avec des musiciens du Sud. Malgré certains problèmes personnels, et certaines absences liées à des problèmes d’alcool, elle enregistre quatorze albums en seulement huit ans. Ses premiers hits pour Atlantic sont :  I Never Loved A Man, Do Right Woman, Respect,Dr Feelgood, A natural Woman. Tout ceci étant évidemment le résultat de beaucoup d’efforts et de travail, ainsi que d’une excellente complicité avec ses musiciens. Sa sœur Carolyn lui apporte d’ailleurs son aide dans des compositions au piano telles Ain’t No Way, Pullin’, Angel

Without love

Dans les années 70, elle rejoint James Brown, Sly Stone, George Clinton lors du tournant Funk. On oublie pourtant souvent de la citer ( par sexisme ?), alors qu’un morceau comme Rock Steady en 1971 est clairement un hit funk. Certes le morceau repose beaucoup sur le batteur « mythomane » Bernard Purdie (qui prétend jouer de la batterie sur tous les morceaux des Beatles !), mais c’est Aretha qui a écrit le texte.

Malgré un apparent éclectisme, l’œuvre d’Aretha est homogène. ce qui ne l’empêche pas de souffrir d’un passage à vide lors du tournant funk vers la période disco.

En 1974, elle enregistre une autre chanson de Carolyn, Without Love. Ce vieux thème de l’amour de Dieu et de l’humanité est essentiel pour Aretha. La rédemption passe par la dévotion.

« Without love,  there’ s only so much you can do

Without love, you’re not even you”

L’amour est l’essence même du travail d’Aretha.

L’une des meilleures chanteuses de tous les temps

La décennie des années 80 est marquée par son départ d’Atlantic et son passage par la maison de disques Arista. En 1986, elle reprend le mythique Jumping Jack Flash en duo avec Keith Richards. Elle continue à connaître de grands succès, principalement aux États-Unis, tout en évoluant davantage vers le mouvement Hip-Hop. Toujours engagée dans de nombreux concerts caritatifs, (elle chante notamment l’hymne national à La Nouvelle Orléans après le passage de l’ouragan Katrina). Elle vit actuellement à Détroit, la ville de son enfance, quand elle n’est pas en tournée.

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Avec ses yeux noirs profonds et sa voix inimitable, celle que l’on nomme également Lady Soul est aujourd’hui classée deuxième personnalité afro-américaine la plus connue après Martin Luther King. Le magazine Rolling Stones la place première au classement des meilleurs chanteurs de tous les temps. Respect.

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