Après avoir remporté le prix du Livre corse pour son recueil de nouvelles L’Eiu Stesu, la jeune Philippa Santoni poursuit l’aventure littéraire en publiant son premier roman Da Parighji sin’à tè, chez la dernière née des maisons d’édition insulaires : Òmara.

Par : Pauline Fabiani

À la toute nouvelle maison d’édition corse, une « nouvelle longue », au dire de l’écrivaine, qui recèle dans son œuvre globale, quelques belles… nouveautés. L’écriture de Philippa Santoni, de « L’Eiu Stesu » à « Sciditti puru u me nomi » ; corsophone de part en part, volontiers qualifiée d’« atopique », se fait là (dès son titre) itinéraire géographique circonstancié, croisement des lieux et des langues – l’édition est bilingue, corso-française – et choc amoureux, passionnel à tous les sens du terme, entre les êtres – entre des femmes, et deux en particulier : la narratrice et Lilina. Propos croisés avec Philippa Santoni.

Quel jeu avec le je ?

S’il y a bien une question qui ne manque d’étreindre rapidement l’esprit du lecteur ; qu’il soit chevronné ou néophyte, est celle de l’être, de chair ou de papier, qui se cache derrière ce « je ». En effet, outre le trouble naturellement créé par l’emploi de la première personne dans tout récit ; du berceau insulaire de l’écrivaine à la ville natale de son héroïne, un toponyme fait le pont : Ajaccio.

Pour autant, comparaison n’est pas raison une fois encore ; et Philippa Santoni, qui reconnaît bien la récurrence lancinante de cette interrogation sur son œuvre, affirme sans détours ni fausse pudeur qu’il s’agit là plus d’un parti pris narratif indispensable à son écriture, qu’une volonté de se dire ; voire de s’exhiber, en l’occurrence. L’écriture ne peut donc ici être envisagée comme autobiographique ; que si l’on considère, en contrepoint des travaux du reste essentiels de Philippe Lejeune, qu’écrivain (et non auteur en tant qu’être reconnu par un état civil), narrateur et personnage ne font qu’un, sous un angle moins réel que fictionnel.

Des femmes…

Ces considérations préliminaires nécessaires à la bonne compréhension de l’œuvre en jeu, entrons un peu plus dans le détail. Au prisme du franc-parler drolatique (nous y reviendrons) de la narratrice, qui pose d’emblée le ton (épargnons au lecteur les « présentations » d’usage dans le monde des realia, « ça fait chier ! », p.67) sont égrenées peu ou prou les différentes « proies » —puisque notre narratrice-chasseuse se laisse voir en maître de la séduction féminine (p.75-76) — qui jalonnent la vie amoureuse de celle qui, faisant de l’accent corse qu’elle croyait dommageable, son atout, se trouve dotée d’un « charme naturel » (p. 75)

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Au détour des lignes, le lecteur rencontre alors des femmes, rapidement brossées, homosexuelles et bisexuelles, confie avoir été la première fois (p.72). Des figures se détachent : l’« ange déchu », attirante mais névrosée (p.77-78), la Continentale à l’œil vicieux (p. 79). En filigrane de ces rencontres, une réflexion, brève, sur la théorie du genre et le plaisir féminin (p. 72-73).

…une Lilina (multiple)

Néanmoins, la narratrice évoquant ces souvenirs, conçoit s’éloigner de son « sujet » (p. 79), qui tient en un prénom : Lilina. Lilina, choisi, considère Philippa Santoni, pour ses sonorités enfantines, ses allures de surnom hypocoristique — échoïque à « Carmenina » ; gentille sotte qui vit un temps aux côtés de la narratrice, résignée (p. 117-118).

Cette dernière, se recentrant en début d’œuvre, explique les rapports ambivalents la rattachant à Lilina, objet et sujet, poison de la folie qui lui dicte l’œuvre (p. 69), femme de ténèbres. Car d’enfantin, Lilina concrètement n’en a que le prénom. Droguée, recluse dans un vingt-mètres carré en banlieue parisienne, « endormie et molle » (p.112). La jeune femme pulvérise la narratrice au gré d’une relation infernale, « en dents de scie », alliant la colère la plus sombre (la jalousie en est cause, p. 106- 107) à l’extase la plus totale (p. 88), comme elle pulvérise ses repères culturels – le couple détonant de la Parisienne et de la « châtaigne », que la mère de cette dernière, inflexible, repousse avec rage (p.112).

Écrire e(s)t aimer

Aussi impure soit-elle, Lilina reste indispensable à la vie de la narratrice. Déesse, comme la plupart cruelle, en besoin d’être rassasiée, elle est le centre vers lequel converge tous les maux de la narratrice, mais aussi ses mots. Narratrice cynique, qui réfléchit à ses actes a posteriori, en attestent les multiples commentaires entre parenthèses qui dédramatisent un fait ou renforcent une remarque acerbe ;

narratrice touchante, qui nous émeut en décrivant son amour Lilina par ses petites habitudes (p.80-81) ; celles qu’on ne peut connaître qu’en côtoyant intimement un être, et qui nous ébranle en sondant dans la solitude de son cœur son désarroi :

« j’ai le cœur noué, je sens l’angoisse monter […] » (p. 120)

Couple né sous une « mauvaise étoile », si « l’astre n’est plu » (p. 116), jamais n’existe pas et l’ouverture reste le maître mot de tout : la « nouvelle longue », celle que nous tenons en main, subtilement mise en abyme (p.122), ouvre la voie aux nouveautés de l’avenir.


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