Journaliste et écrivain, Sampiero Sanguinetti met ses qualités professionnelles à profit dans un roman historique et une enquête sur la mafia corse. Deux ouvrages qui ébrèchent les clichés et suscitent la réflexion.

Par : Francis Beretti

En 2011, Sampiero Sanguinetti, journaliste de profession, on le sait, s’était laissé tenter par l’écriture d’un roman. Mais une sorte de roman historique, à partir d’archives privées authentiques, auquel il avait donné un titre pittoresque et intriguant : Pietri Bey (Albiana). Intriguant, par le télescopage, entre un patronyme qui fleure bon l’Alta Rocca, et un titre originaire de Turquie « Pietri Bey ». En bref, le surnom qu’on avait donné à l’arrière-grand-père d’un jeune homme, Jean, qui se rend au Caire pour localiser la tombe de son ancêtre, mort en 1909 dans la capitale égyptienne.

Toute l’intrigue, justement, tient dans cette remontée dans le temps. La progressive découverte du mode de vie de ce médecin qui avait décidé d’exercer son métier sur les bords du grand Nil. Mais pourquoi cette décision ? Et où avait-il fini sa vie, après trente années de séjour en Égypte, où il avait acquis une grande renommée ? Ce n’est pas à nous de répondre. Ce que nous pouvons dire, c’est que le roman repose sur deux piliers. D’une part, une société fermée de notables, et la société cosmopolite et libre d’une grande capitale. Et sur la personnalité de deux êtres que l’on a réunis sans tenir compte de leurs sentiments profonds. Chacun d’entre eux, à sa façon, réussit finalement à braver les interdits d’un milieu étroit et étouffant.

Arrière-pensées politiques

Ce roman est constitué par un suspense. Mais il a aussi une portée sociologique plus grande. Il ébrèche le vieux cliché du caractère viril – certaines personnes diraient du machisme – du sgiò de nos provinces. Et du caractère soumis de la jeune fille corse dont la famille a imposé le mariage afin de préserver, et si possible d’agrandir le patrimoine.

Sampiero Sanguinetti s’illustre également dans l’enquête journalistique. Comme il le démontre dans son ouvrage récent, Corse : de quoi la Mafia est-elle le nom ? (Albiana, 2019). La tournure interrogative du titre indique que l’auteur n’a pas la prétention de connaître la réponse. Il se fonde sur sa propre expérience professionnelle, sur deux points : il a subi à trois reprises les effets du centralisme parisien, teinté parfois d’arrière-pensées politiques quand il fut forcé de quitter l’île. Ce désintérêt envers une information honnête des réalités de l’île est un des aspects de la question posée.

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D’autre part, Sampiero, à Palerme, a eu comme collègue un expert de la lutte contre la criminalité mafieuse, Salvatore Cusimano. Mais peut-on transposer les mesures prises par les autorités italiennes en Corse ? 

“Je préfère qu’on me prenne pour un voyou que pour un con”

Sampiero souligne des données de base : Corse : 300.000 habitants ; Sicile : plus de 5 millions. PIB de la Corse : de 5 à 8 milliards d’euros. PIB de la Sicile : plus de 85 milliards. D’autre part, la Corse bénéficie d’un pôle économique et financier, alors que la France n’a que trois autres pôles du même type (Paris, Lyon et Marseille). La juridiction interrégionale de Marseille peut délocaliser les dossiers. Faudrait-il encore inventer un autre outil ?  La suppression des jurés populaires et le recours systématique aux « pentiti » (les « repentis ») serait une remise en cause grave des principes fondateurs de la république.

L’essai de Sampiero nous offre quelques passages piquants ou réjouissants. Comme la formule choc, de Claude Chossat : « La Corse, c’est le supermarché du milieu ». Ou le mot de Charles Pasqua, digne d’un dialogue d’Audiard, rapporté par le journaliste Nicolas Beau : « Je préfère qu’on me prenne pour un voyou que pour un con ». Et cet épisode burlesque raconté par le célèbre commissaire Robert Broussard, forcé de jouer les paceri pour protéger un magistrat de son supérieur hiérarchique le procureur général qui, dans une crise de fureur, était prêt à le colleter !

Au fond, Sampiero Sanguinetti préconise l’ouverture d’un débat public rigoureux et loyal. Où l’on prendrait soin d’éviter la tentation du sensationnel. Les facilités de langage, les faux-fuyants, les approximations et le flou artistique quand il s’agit de parler de la mafia. Cette démarche salutaire permettrait de mieux éclairer toutes les données d’un problème alimenté par une économie déséquilibrée et fragile dominée par « les lois du marché et la doxa libérale ». 

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