Dans son ouvrage Vivre avec nos morts, Delphine Horvilleur raconte comment son rôle de rabbin l’a confrontée à la mort ; et à la nécessité de transformer cette même mort en leçon de vie. Le texte de Delphine Horvilleur est une consolation offerte au lecteur afin de lui permettre de mieux appréhender la question de la finitude.

Par : Nadia Saadi

Vivre avec nos morts, de Delphine Horvilleur | Éditions Grasset

Il était une fois Delphine Horvilleur, une femme plurielle : écrivain , essayiste et philosophe, rabbin de l’organisation juive libérale “Judaïsme en mouvement”, rédactrice en chef de la revue Tenou’a ( mouvement en hébreu ) et dans son dernier livre , paru chez Grasset,Vivre avec nos morts : un autre métier qui s’approche le plus de celui de la fonction de rabbin écrit-elle à la page 16 : “c’est celui de conteur”. Delphine Horvilleur, émerveille par son habileté avec les mots, par sa douceur et sa finesse d’esprit .

Des récits universels

Elle offre humanité, sagesse dans des enseignements ô combien universels et des réflexions qui s’adressent à tous. Dans Vivre avec nos morts, elle raconte et conte des récits sur la mort, à travers des instants vécus en tant que rabbin, d’où elle extrait toujours la moindre trace, le moindre signe, le moindre mot qui vient tisser comme un hymne à la Vie.

Un traité de consolation

Le sous-titre du livre : Petit Traité de Consolation. Comment accompagner ceux qui partent ? Ceux-là même qui n’ont plus de pouvoir sur leur vie, ni même sur leur propre mort. Comment ne pas oublier d’ accompagner ceux qui restent ? Et c’est bien plus pour ces derniers qui eux vivent encore que la question prend sens et attend de multiples réponses. Delphine Horvilleur répond à ces questions en puisant intelligemment dans plusieurs domaines de connaissances. Delphine Horvilleur connaît la médecine. Elle aime la langue, les langues, et elle se plaît à faire des va-et-vient entre l’hébreu et le français.

Chercher du sens dans les textes et dans les mots

Parfois, elle cherche le sens, l’origine des mots, plus loin encore, dans une langue ancienne : l’araméen. Elle dissèque avec passion et précision ces références linguistiques pour offrir une ou plusieurs lectures possibles à ce qu’elle avance. Ce qui touche sa conception du temps, de l’espace, de la parole et de son usage face à la mort. Delphine Horvilleur fait évidemment référence aux textes religieux mais elle prévient : ne pas y voir là de la “bondieuserie “ parce que même dans ce contexte elle prend “ des gants “ pour rapporter les textes sacrés qu’elle ne fige pas à une lecture unique et hermétique. Elle les manipule avec tact, y voient des similitudes avec les contes, ceux que l’on raconte aux enfants. Quand elle en tire une morale, c’ est pour donner toujours le dernier mot à la Vie.

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Delphine Horvilleur propose donc une conception de la mort qui perd toujours face à la Vie. Delphine Horvilleur, en conteuse, en rabbin, use de la puissance du langage et des mots . Ces mots qui peuvent savoir dire le bien tout comme le mal, ou parfois être inutiles, impuissants ou déplacés. Des mots qui ont à la fois un large champ d’action et cependant des limites. Ce que nous dit Delphine Horvilleur dans Vivre avec nos Morts, c’ est que l’ on ne sait pas dire la Mort. Alors pourquoi ne pas oser dire cette incapacité des mots à dire la Mort ?

Célébrer la vie

Delphine Horvilleur opte pour dire la Vie. L’auteure la raconte aussi avec humour. Elle rit beaucoup et aime faire rire. Elle prend plaisir à raconter des blagues. Même quand elle est confrontée à la Mort, elle l’affronte avec ceux qu’elle accompagne. Avec cet enchantement face à la Vie. Ses récits émouvants racontant des morts réelles de personnes inconnues ou plus célèbres (Simone Weil) permettent naturellement l’identification du lecteur. À travers cette mort qu’elle raconte avec beaucoup de poésie et qui n’arrive, on le sait, pas qu’aux autres, Delphine Horvilleur nous touche, nous émeut. Elle accompagne avec ce Petit Traité de Consolation “les croyants , les non croyants, les juifs et les non juifs “ et tant d’autres.

Ce qui est époustouflant chez elle, c’est qu’elle s’ applique à laisser toujours un espace vacant ; libre d’accueillir d’ autres susceptibles d’ être touchés par, peut-être , une sorte de grâce ; celle qui aurait le pouvoir de rassembler et unir chaque être humain. Chez Delphine Horvilleur, l’espace et le temps sont toujours en mouvement, changeant par essence, offrant des champs de métamorphoses possibles entièrement ouverts à ce qui peut mourir sans regret, sans pathos, pour donner place à ce qui vivra et devra vivre dans un temps futur. Dans ces récits anecdotiques, elle aborde le deuil collectif, le deuil à la suite de la perte d’un enfant et bien d’autres situations encore.

Le vide comme invitation à la recherche

Elle ouvre des portes symboliques entre ces deux mondes que sont la Vie et la Mort. Elle ne retient que ce qu’il y a de plus important. Ce qu’elle garde en mémoire et transmet , c’est surtout ce qu’a été la vie ; et ce qu’elle aurait pu être avant de dire ce qu’elle ne sera plus. Un livre qui traite de la Mort certes ; mais en offrant à la fois un espace et un temps de respiration, une bouffée d’oxygène, un véritable souffle de vie.

Une vision de la Mort qui de par l’espace vacant qu’elle laisse n’ attend que la Vie parce qu’il n’ y a qu’elle qui peut prendre cette place. Et lorsqu’elle propose une définition de la laïcité, c’est par ce même espace, fait de vide(s), qui n’attendent qu’à être remplis et partagés avec tous ceux qui viennent y respirer aux côtés de l’Autre. Un hymne à la Vie.

En savoir plus

Delphine Horvilleur, Vivre avec nos morts, Paris, Grasset, 2021.

Photo : Grasset

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