Dans La Maison aux livres, le romancier turc Enis Batur raconte les péripéties d’un romancier et éditeur à qui un inconnu a légué une bibliothèque de plusieurs milliers d’ouvrages. Une “métaphysique de la bibliothèque”, que décrypte Jean-Guy Talamoni.

Par : Jean-Guy Talamoni

Poète, romancier, essayiste, figure considérable de la littérature turque, Enis Batur est revenu cette année à une thématique qui lui est chère et qu’il avait déjà abordée il y a plusieurs années[1] : le livre, les livres, les bibliothèques labyrinthiques… Le livre comme contenant – l’objet –, comme contenu – le texte –, avec cette relation indéfinissable entre ces deux dimensions qui donne à la chose son caractère fascinant et indépassable.

Enis Batur

Comme l’affirme Umberto Eco, « Le livre est comme la roue. Lorsque vous l’avez inventé, vous ne pouvez pas aller plus loin »[2]. Quant à la bibliothèque, elle est à la fois irrépressiblement attirante et vaguement inquiétante, presque autant que celle de Murakami[3]. L’auteur n’hésite pas à la présenter comme un « espace sacré », comme un « lieu de culte ». Cela ne semblera pas excessif à tous ceux qui oscillent entre bibliophilie et bibliomanie et dont la singulière passion ne laisse pas d’étonner, parfois d’exaspérer leur entourage familial (question d’ailleurs évoquée par l’auteur !).

Ce clan du livre

S’inscrivant dans une tradition littéraire marquée par les noms les plus prestigieux, Enis Batur continue à explorer cette « métaphysique de la bibliothèque » – dont Borges demeure indiscutablement le « chef de file » –, revendiquant hautement son appartenance à cette « tribu sans frontière », ce « clan du livre » qu’Internet n’est pas parvenu à réduire.

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Traduit par notre compatriote François-Michel Durazzo, l’ouvrage est publié par les éditions Zulma, Paris, Veules-les-Roses.

Extraits :

  • « Nombreux sont ceux qui, refusant de considérer une bibliothèque comme un lieu de culte, ne verraient dans ce rapprochement avec leurs propres temples que de l’idolâtrie. En tout cas, une bonne bibliothèque abrite la plupart, sinon la totalité des saintes Écritures ». (P. 116).
  • « Si je dis “nous”, c’est que je crois dur comme fer à l’existence d’une tribu sans frontières, d’un clan du livre, comme je l’ai dit et répété maintes fois, car nous sommes – ne l’ai-je pas aussi dit ? – du même groupe sanguin. N’y a-t-il pas parmi nous des gens qui mériteraient définitivement d’être traités de fous ? Franchement, je pense qu’en de telles situations personne ne peut être totalement impartial ». (P. 134).
  • « (…) en changeant de mains, chaque livre, loin de se réduire au texte qu’il contenait, gagnait en richesse. Nous attribuions secrètement au contenu du livre une forme d’expérience accumulée au fil de ses lectures antérieures ». (P. 140).

[1] D’une bibliothèque l’autre, éditions Bleu autour, 2008.

[2] Jean-Claude Carrière et Umberto Eco, N’espérez pas vous débarrasser des livres, Grasset, 2009, p. 131.

[3] Haruki Murakami, L’étrange bibliothèque, 10/18 Belfond, 2015.

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