Titulaire d’une maîtrise d’Arts plastiques aux Beaux-Arts de Paris, Ghjiseppu Orsolini avait présenté à l’Université de Corse, une exposition où “des formes colorées émergent du néant blanc de l’oubli” et font revivre la mémoire insulaire.

Par : Béatrice Tozzi 

Point de jonction de plusieurs mondes, l’imaginaire est ici vecteur d’une mémoire à laquelle est profondément attaché Ghjiseppu Orsolini, l’auteur de ces « costumes pour un théâtre imaginaire ». Une mémoire insulaire déclinée en un cheminement à travers lieux et époques qui ne peut se passer d’une plasticité pour survivre. Celle des formes colorées émergeant au cœur du néant blanc de l’oubli. Celui de la feuille blanche, surface évanescente, espace d’apparition et de disparition. À la fois no man’s land et dimension de surgissements multiples.

Ghjiseppu Orsolini a enseigné l’histoire de l’art, la culture et le patrimoine de 1986 à 2008.

Les dessins de Ghjiseppu Orsolini prennent ici le contrepied de ce paradoxe. Faisant jaillir la couleur et l’ampleur des formes des costumes dans un arrière-plan à peine travaillé. Un univers blanc tissé de choses disparues. Dans lequel s’opère une résurgence de vécus anciens incarnant l’irruption soudaine d’un passé à la fois inventé ou réinventé. Passé non conscient et pourtant présent. Ici le dessin transcende la représentation de l’utilitaire, des objets du quotidien ancrés dans la tradition.

Les taches de couleur vive portent en elles les acclamations du théâtre ; les méandres immémoriales de la tragédie du No japonais au théâtre européen classique. Car le vêtement qu’il soit costume ou pas, ainsi que l’a indiqué l’artiste contemporain Christian Boltanski, est une  «seconde peau». Une métaphore de l’Homme, viscéralement fidélisée à toutes les gestuelles et donc aux présences qu’il a « recouvertes ». Ces gestuelles sont ici omniprésentes, dans le vaste mouvement intimé aux silhouettes en pied.

Une métaphore de l’Homme

Ainsi s’y côtoient sans cesse le rêve et la réalité. Le monde céleste dans l’effet aérien des volumes peints. L’usage du bleu qui rappelle le culte marial, et l’usage d’un blanc quasi mystique ; et celui de la terre, des ocres, carmins et terre de sienne, intrinsèquement rattachés au culte religieux, à un Pathos permanent qui renvoie sans cesse au symbole du Catenacciu.

La vie et la mort dans la dualité constante du Memento mori, sont également présentes au gré des vanités rencontrées au détour des reflets d’un miroir. Ainsi les images du crâne se multiplient dans les scénographies dessinées. Elles induisent une sorte de masque de la mort faisant partie intégrante du costume et porté par la plupart des personnages représentés.

A l’inverse des imagines maiorum romaines, moulées sur les visages des défunts, ces masques sont tous similaires du point de vue de la forme qu’ils soient sombres ou immaculés. Ils sont à la fois noirceur du deuil et blancheur du crâne et sont rattachés à une forme de danse à la fois macabre et festive. Danse de la mort mais aussi du carnaval, des visages exsangues posés sur les corps colorés en mouvement. Les silhouettes deviennent alors de véritables oxymores. Sorte de contraires associés car elles incarnent la mort et la vie, le permanent et l’éphémère. C’est un monde qui (re) naît sous nos yeux. Une forme d’imaginaire en palimpseste car surgissant à nouveau de ce qui est profondément ancré dans notre histoire.

Le permanent de l’éphémère

Ces costumes « habités », nécessairement imaginés tant ils ont été oubliés sont aussi emplis de magie. Celle qui naît du mystère là où le souvenir s’arrête. Magie de la personnification des éléments. Le feu, présenté à la fois comme élément indomptable, mais aussi maîtrisé dans la représentation du Fucone et du feu de la St.Jean, qui est personnifié par un personnage volatile. Magie aussi dans la représentation personnifiée de la musique, art qui n’a pu perdurer jusqu’en nous que par la tradition…

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L’imaginaire apparaît alors comme une autre façon de se rappeler, et comme un énième moyen de faire honneur à l’histoire de l’art insulaire dont Ghjiseppu Orsolini est un spécialiste. Ici s’incarnent, tous les lieux de l’Île qu’il a maintes fois arpentés, étudiés, racontés. Et par là même, rendus à la vie. Lieux sacrés ou profanes, architectures aux techniques de construction oubliées qui rejaillissent sous nos yeux à travers le dessin, comme un acte de résistance face au vide immaculé du support. Car ce qui fait l’essence même de ces costumes, pour un théâtre imaginaire, c’est une forme de présence sous-jacente induite par l’art : L’imagination comme une victoire sur l’oubli…

Ghjiseppu Orsolini, Costumes pour un théâtre imaginaire, Corte, Presses Universitaires de Corse Cullezione Sguardi- Università di Corsica

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