par Ivana Polisini

Ce que je voudrais livrer ici est une lecture subjective -pas une étude- mais simplement la relation singulière que j’ai pu entretenir pendant  un instant, à travers son livre, avec quelqu’un qui vit sur la même terre que  moi et en même temps .J’ai voulu partager le regard de quelqu’un qui a pris le temps de s’arrêter  et de figer le temps ,momentanément , pour mettre des mots  sur la pensée , et qui , chemin faisant , tente d’en reconstituer le fil .

Le contexte historique sur lequel il s’appuie est la lutte fratricide qui a opposé les nationalistes  dans les années 1990 avec en point d’orgue , l’assassinat de deux tunisiens accusés de trafic de drogue ,quelques années plutôt dans les années1985, comme si ,déjà ,la perversion  était en route .Les nationalistes avaient pourtant soulevé une espérance et un rêve : la chute n’en a été que plus dure. Jérôme Ferrari nous propose ici , sa vision de  la réalité, en  croisant les époques  ,les voix et les trajectoires d’individus ,qui cherchant un sens à leur vie   dans ces années-là , trouvent finalement le désespoir ,la solitude ,la mort et le non-sens .Le regard n’est jamais accusateur ou moraliste.Il ne verse pas non plus dans le pathos ,le sentimentalisme ou l’explication idéologique. Mais la forme choisie ,difficile d’accès , nous invite à la réflexion .

Un coup d’œil sur la table des matières nous montre comment il recompose le temps en cercles concentriques : 2000 au début ( date de l’ assassinat de Stéphane Campana ) et 2000 à la fin, puis , les années 1985-1991(l’assassinat des deux tunisiens) et enfin enserrées comme enfermées, les années  91 à 96 (la lutte entre nationalistes).C’est dans ce parcours morcelé de  la mémoire que s’inscrit  la recherche de la vérité sur la mort de Stéphane Campana,un responsable  nationaliste  assassiné,cinq ans après la “fin” de la lutte entre nationalistes.. Alors ,qui  l’ a tué et pourquoi ?

C’est en effet sur la scène hystérique de cette mort que le roman s’ouvre. Virginie ,un des personnages féminins ,se jette sur le cadavre de son amant en hurlant comme les pleureuses antiques ,entièrement nue et en socquettes. Le lecteur entend alors la genèse d’une relation perverse ,entre Virginie,la fille d’Angèle ,qui tient le café du village,et Stéphane.Une relation qui avait débuté alors que Virginie n’était qu’une petite fille et Stéphane,un jeune militant en quête de reconnaissance .La perversité de cette relation ,entre sadisme et innocence (Stéphane ne la touchera jamais :il se contentera de la regarder et de la fantasmer ) reflète la perversité de la lutte. Les destins se mêlent alors .Celui de Vincent Léandri,un autre dirigeant,revenu en Corse pour échapper à la culpabilité d’être né du coté de colonisateur mortifères lorsqu’il était dans l’Ocean indien. Celui de Théodore Moracchini, ethnologue imposteur, raté,au bord de la folie. C’est dans le même village,lieu central et clos, que viennent s’échouer Kaled,le marocain, et sa sœur ,la belle et mélancolique Hayett qui sert au bar tandis que son frère vend la drogue qu’il avait amenée .Ils deviendront ,à leur corps défendant les victimes expiatoires , adversaires fantasmés de ceux qui pourtant leur ressemblent tant.Eux aussi avaient quitté leur terre natale pour échapper à un destin marqué par les légendes et les rêves et que Jérôme Ferrari rappelle  comme un souvenir lancinant et lumineux, à travers l’évocation de la promenade de Balco Atlantico.Il faudrait aussi parler de l’histoire d’Angèle,qui veille et s’accroche ,malgré sa pauvre vie, à l’idée qu’elle se fait de la dignité. Elle détestait Stéphane et sa mort la délivre .

A la fin  du livre , que je ne raconterai pas, puisqu’il nous livre la clé de la mort de Stéphane ,ce qu’il reste c’est un étrange sentiment de malaise et de tristesse devant la vie et les espérances gâchées de ces personnages qui en ne se trouvant pas eux-mêmes , n’ont pas non plus trouvé les autres Tout  amour leur est  interdit. Ce qu’il reste, c’est la présence lourde d’ une solitude tragique et désespérante que le style de Jérome Ferrari rend heureusement plus légère. Un  reproche aussi , fugace mais tenace :  les espoirs d’un  peuple ne peuvent  se réduire aux errements névrotiques de certains de ses protagonistes.  Je sais , un roman  n’est pas un traité de politique .

Les choses sérieuses étant dites , je ne serais pas tout à fait honnête, si ne disais pas que je n’ai pas dérogé à notre sport favori du “qui est qui” ?

Je terminerai en avouant que j’ai cherché aussi derrière quels personnages  Jérome Ferrari  s’était caché .L’excuse toute trouvée à cette curiosité, c’est  Flaubert ,disant à propos de son roman: “Madame Bovary ,c’est moi” .Sachant aujourd’hui qu’il existe, consciemment ou inconsciemment,une part d’autobiographie dans toute création artistique, je ne résisterai pas au plaisir de demander à Jérome Ferrari : où vous cachez-vous dans votre roman ? et ne me répondez surtout pas ” partout “
 

Bastia  le  5/07/2009/ Ivana Polisini

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