par Marie-France Bereni Canazzi


Depuis des années, les amateurs de roman policier ont la chance de pouvoir puiser dans le fonds « du nord » ;  le  rompol du froid , qu’il soit écrit par A.  Indridason, H.  Mankell,  C. Lackberg, S. Larsson,  J. Nesbo, J. Theorin…  s’installe parmi nos lectures préférées et vient nous faire oublier qu’on s’ennuie quand on a , malheureusement , lu tous les A Christie, les Conan Doyle, Boileau Narcejac, Simenon, Ruth Rendell et tant d’autres …On en était réduit à attendre les romans espagnols et siciliens, avec quelques valeurs sûres américaines pour tenir la route !
Et voilà qu’une manne  vient tout renouveler.

Qu’est-ce qui en fait le succès ?  Tout d’abord le fait que les intrigues soient bien sombres, les chutes pertinentes et troublantes, que les personnages soient ordinaires et  attachants car  présents de titre en titre et dotés de traits de caractère bien spécifiques…La Suède, l’Islande, le Danemark, la Finlande, la Norvège …aux décors  de nostalgie, au sein d’une nature magnifique et cruelle où l’homme supporte son mal être,  écrasé par des  falaises immenses, jeté sur des îlots  lessivés par la mer ou travaillant et cachant sa solitude dans  des  villes  aux  noms imprononçables.

L’impression de voyager  depuis  son fauteuil, de retrouver d’autres nous-mêmes sous d’autres cieux !  Et du suspense en prime !


Ajoutons y toute une littérature qui émerge, bien différente et tout aussi importante ; c’est le polar asiatique notamment chinois, coréen ; japonais :  les auteurs les plus connus ont pour noms Jiro Akagawa, S Yokomizo,(aux titres exotiques  comme  La hache, le koto et le chrysanthème ), Togawa Masako, Misa Yamamura, He Jiahong

Ma  préférence  va à l’œuvre du chinois  Qiu Xialong, qui vit  et enseigne aux USA, écrit en anglais et est traduit en français chez L Levi puis  Points. Cette série de romans a  la plupart du temps Shangai comme décor et  permet à l’inspecteur Chen , l’enquêteur, de cultiver son goût de la justice et celui de la poésie.


Ces livres, véritable plongée dans cette grande civilisation complexe et méconnue,   se savourent  plus qu’ils ne se consomment.  Et il y est question de gastronomie, de  philosophie, de poésie,  de psychologie, d’écologie…Féru de littérature, Chen, anglophile  sensible,   récite des bribes  de poèmes d’Eliot, de Keats , les anglais étant ses maîtres …et contemple  des rouleaux en papier de riz qui expriment  les états d’âme  d’illustres chinois et constate les effets  négatifs de la révolution culturelle ainsi que ceux du système capitaliste corrompu qui se met en place sous ses yeux.

Entourés de quelques personnes qu’on finit par connaitre et attendre au coin des pages, il dénoue les fils de situations bien obscures, qu’il s’agisse de crimes motivés par la passion amoureuse, politique, ou plus prosaïquement  par l’intérêt

Dans  De soie et de sang par exemple, , deux belles jeunes femmes sont trouvées mortes en  bord de route , juste vêtues de quipaos  rouges, un beau vêtement digne d’un musée, précieux et démodé, qui ne se porte plus depuis des décennies ; curieusement alors que ce beau vêtement est déchiré des deux côtés jusqu’à la taille dans les deux crimes, les jeunes femmes n’ont pas subi de sévices sexuels . Qui chercher ?  Pourquoi a-t-on tué ces malheureuses ? Chen a étudié l’œuvre de Freud et il pourra ainsi remonter jusqu’à celui ou celle ou ceux (je me garde de vous gâcher le plaisir de découvrir !) qui a agi.
« Nuage Blanc s’approcha, épanouie comme une fleur de nuit, dans une robe flottante multicolore. « Oui?— La spécialité de ce soir, dit Chen. N’oubliez aucun détail.— Aucun détail. » Elle alluma deux bougies sur la table avant de ressortir. Jia observait, il ne fit aucun commentaire sur l’exi­gence insolite de Chen. Celui-ci alluma une cigarette. Le silence envahit la pièce. On n’entendait plus que le balancier de la vieille horloge.Soudain, l’électricité s’éteignit, ne laissant que la lumière des bougies qui vacilla quand la porte se rouvrit. Nuage Blanc revenait, en qipao rouge, les fentes déchirées, plusieurs boutons du corsage défaits, ses pieds nus d’une blancheur éclatante sur la moquette rouge.Jia se dressa, le visage soudain livide.Dans un conte du juge Bao, de la dynastie des Song, un criminel passait aux aveux sous l’effet du choc pro­voqué par l’apparition d’une femme assassinée. A cette époque-là, les gens étaient encore très superstitieux et la colère d’un fantôme les terrorisait.Jia se laissa retomber sur son siège. Pendant qu’il s’essuyait le front, il garda la tête baissée pour éviter de la voir.
Nuage Blanc portait une marmite de verre sur un réchaud à gaz. Lorsqu’elle les posa sur la table et se pencha pour allumer le réchaud, ses seins apparurent dans l’échancrure déboutonnée de sa robe.Une tortue nageait dans la marmite au-dessus du réchaud.
Inconsciente du changement progressif de la température de l’eau, elle regardait tranquillement à l’extérieur. Un autre plat cruel. À petit feu, la tortue pouvait cuire pendant un très long moment.« Soupe
spéciale au bouillon de poulet et de pétoncles, expliqua Nuage Blanc.
En se débattant, la tortue absorbe l’essence de la soupe, et sa chair, une fois cuite, aura une saveur extraordinaire. Ses mouvements rendront aussi la soupe plus délicieuse.- Un plat étrange, un restaurant original », dit Jia qui se ressaisissait, bien que transpirant abondamment. « Même la serveuse est habillée de façon spectaculaire
.” (De soie et de sang  P. 305)


Certains conseillent de lire ces romans dans l’ordre ; peut-être…Mais on peut commencer par   Mort d’une héroïne rouge , puis lire  De soie et de sang , parus chez Liana Levi en 2001 et 2007.  Ou encore
choisir   La danseuse de Mao  et toute la série . Les noms sont évocateurs, le dépaysement est assuré …Le dernier   Les courants fourbes du lac Tai nous entraîne  avec Chen dans un centre de repos
pour cadres du parti, au bord d’un lac pollué : l’occasion de réflexions sur l’amour, l’argent, le progrès, le devenir des hommes.
Il y a vraiment une embellie pour les amateurs de polars !

Réédition d’un article de décembre 2011


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