Qu’est-ce qui se niche dans les interstices de nos existences ? Au fond, l’être est-il différent d’un fourmillement de nuisibles ? Autant de questions que se propose de traiter Jean-Louis Giovannoni dans Sous le seuil. Un récit à la fois cruel et doux, dans lequel il explore les limites de notre humanité.

Par : Francis Beretti

Sous le seuil, la pourriture. Des colonnes de fourmis se faufilent sous les racines d’un châtaignier. Les cloportes se cachent sous les pierres, sous les souches pourrissantes.

Dans l’humidité des sous-bois en novembre, « la terre regorge de lombrics et de taupes ».  Les blattes grouillent sous le dallage. Des lombrics aèrent la terre. Des pucerons surabondent. La nature est cruelle. Ainsi, la mante religieuse qui dévore le mâle ; pourtant porté de bonnes intentions. Les hirondelles avalent les mouches en plein vol. Belettes, renards et serpents se repaissent de leurs proies innocentes.

Cruauté envers l’homme : un passant dévoré par les sangsues agonise. Cruauté de l’homme. Des enfants capturent des araignées et des scorpions pour se régaler d’un combat perdu d’avance. Les villageois font la fête autour d’une bête sacrifiée : «Porc, tête en bas, pattes arrières pendues au gibet. Chaque secousse serre les nœuds, lui coupe les chairs. Il couine, hurle. Son poids l’épuise».

Une poésie de fragments

Deux jeunes gens font l’amour dans une cabane de branchages. La scène est évoquée avec la même curiosité clinique que l’accouplement des papillons ou d’autres ébats sauvages : «Battements accélérés, confusion des frontières, les yeux chavirent». Mais à quoi tout cela rime-t-il ?

S’agit-il d’un kaléidoscope de souvenirs personnels : des visages entrevus derrière la vitre des wagons, et qui se télescopent. La grand-mère morte à la mi-décembre. La tuaison des cochons, les villages qui se vident ? On nous donne des explications pertinentes : la poésie de Jean-Louis Giovannoni est « une poésie de fragments interrogeant le malaise d’un rapport intime et extérieur au monde ». Il nous présente une succession de tableaux dépouillés de toute rhétorique, « où toutes les vies ont la même valeur ». Mais on ne saurait s’en satisfaire.

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Sous le seuil, la pitié. 

Sensibilité envers les créatures animales : « Hiboux et chouettes n’osent plus voler, la nuit leur manque ». 

Sensibilité envers l’être humain angoissé par la proximité d’un sort inéluctable. Une angoisse évoquée par un simple geste :
« La vieille dame du quatrième cherche la main de son mari, la serre contre la sienne. Secondes lentes et rapides avant la montée du froid ».

Et puis, on lit ce passage où pour la première fois Giovannoni se situe géographiquement :

« Le village disparaît, dans le tournant, après la croix où l’on s’assied. Au loin les lumières tremblantes de l’île d’Elbe, de Capraia, de Montecristo et de Pianosa.
Sans les quitter des yeux, nous parlons lentement dans le noir de nos vies rêvées
». 

Relisez posément, à voix haute, cette dernière phrase, et savourez la beauté et la profondeur du message.

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