Dans cette tribune, Hervé Cheuzeville, auteur et chroniqueur radio, revient sur la fermeture de la librairie des Deux mondes à Bastia afin de souligner la disparition des lieux de culture dans les centres-villes au profit des grandes marques commerciales.  

Depuis des années, dans toute la France, apparaissent des magasins de cigarettes électroniques et des salons de tatouages, ainsi que des établissements de restauration rapide, appartenant à de grandes chaînes internationales et n’ayant de « restaurants » que le nom. D’immenses et hideux hangars défigurent les abords de nos villes, de Dunkerque à Bastia : ils abritent des supermarchés dont les prix, à en croire leurs enseignes agressives, défient toute concurrence, ainsi que des commerces aux noms barbares, tels que « drive in », « super discount » ou autres. Ces cathédrales du consumérisme appartiennent elles aussi à de grandes chaînes, bien souvent internationales.

Alors que fleurissent partout ces temples de la consommation, alliant publicités tapageuses et anglicismes venus d’Outre-Atlantique, un autre phénomène se produit, sans que l’on n’y prenne garde, sans que l’on s’en alarme : de nombreux commerces ferment, en particulier dans les centres villes, pour être ensuite remplacés par des magasins proposant au chaland des activités plus à la mode, plus « tendance » pour reprendre l’une de ces affreuses expressions de ce début de XXIe siècle. C’est le cas des librairies qui, les unes après les autres, ferment leurs portes.

Notre ville de Bastia ne fait pas exception. Il y a encore quelques années, le centre de la ville comptait au moins cinq importantes librairies. Deux ont définitivement fermé, une troisième va le faire ce 31 août. Il ne restera alors que deux librairies, toutes deux situées sur le boulevard Paoli. Elles semblent avoir réussi à se maintenir grâce à leurs activités de vente de matériel et de livres scolaires. Si, comme leurs malheureux concurrents, ces deux dernières librairies s’étaient limitées à leur vraie raison d’être, la vente de livres, sans doute, auraient-elles également définitivement descendu leurs rideaux de fer. Mais leur avenir n’en est pas pour autant assuré. De plus en plus de Bastiais préfèrent désormais la solution de facilité qui consiste à commander leurs livres sur internet, à certaines grandes multinationales qui, bien souvent, payent peu ou pas d’impôts en France ! Alors même que nombre de ces sociétés font payer l’envoi de leurs produits en Corse plus cher que pour les livraisons en France continentale. Mais cela, peu de consommateurs l’a remarqué. Un ou deux clics sur l’ordinateur ou sur le téléphone dit « intelligent », c’est tellement plus facile que de sortir de chez soi et d’essayer de se garer en ville avec difficulté pour ensuite aller jusqu’à la librairie !

Allant sans doute à contrecourant, une jeune femme a ouvert, voici deux ou trois ans, une toute petite librairie dans le quartier de Lupinu, non loin de Notre-Dame des Victoires. Dans un tel quartier, d’aucun se serait attendu à voir surgir un énième magasin de cigarettes électroniques ou un salon de tatouage et de piercings. Pourtant, sans bruit, sans publicité, sans avoir recours à internet, cette femme courageuse tente envers et contre tout de rapprocher les livres de ceux qui semblent ne plus savoir ce qu’est le plaisir de tourner les pages d’un bon bouquin.

Je voudrais aujourd’hui lancer un vibrant appel aux Bastiais et aux habitants de la région. N’abandonnez pas, s’il vous plait, le chemin de votre librairie. Renouez avec votre libraire qui ne demandera pas mieux que de vous orienter dans vos choix et dans vos découvertes littéraires, ou de commander pour vous les livres que vous n’auriez pas réussi à trouver dans les rayons de sa boutique ! Retrouvez ce plaisir qui consiste à errer dans les allées de la librairie, à prendre au hasard un livre sur le rayonnage, à le reposer, puis à en prendre un autre avant de porter son choix sur un ouvrage que, peut-être, vous n’auriez jamais eu l’idée d’acheter si vous n’étiez pars sorti de chez vous, et dont vous ne regretterez pas la lecture ! Emmenez avec vous vos enfants ou vos petits-enfants, en leur faisant apprécier le plaisir consistant à découvrir les livres, vous leur enseignerez aussi, sans en avoir l’air, l’amour de la lecture, un amour dont de moins en moins de jeunes a fait l’expérience, malheureusement !

Souvent, il m’arrive d’écrire au sujet de livres que j’ai aimés, parfois même de livres que j’ai écrits. J’espère avoir ainsi su faire partager mon amour de la lecture. J’espère surtout que certains de mes lecteurs se sont ensuite rendus chez leur libraire favori pour acheter ou commander le livre que j’avais évoqué. De grâce, chers lecteurs, abandonnez la solution de facilité que vous procure internet, reprenez le chemin qui conduit à l’une des dernières librairies de Bastia. Notre ville fut une cité de culture, il ne faut pas qu’elle se transforme en zone d’acculturation et de consumérisme. Les librairies Album et Papi, boulevard Paoli, le Principellu, à Lupinu, vous attendent. Allez-y avant qu’il ne soit trop tard et que vous ne trouviez, en leurs lieux et places, un fast food, un magasin de mode ou, pire encore, un “bar à ongles”, où les soins apportés à chaque ongle doivent certainement valoir le prix d’un petit livre !

À propos d’Hervé Cheuzeville

Hervé Cheuzeville, est l’auteur de 7 livres et de nombreux articles et chroniques. Ses  derniers ouvrages « Des Royaumes méconnus » paru en deux tomes, le premier consacré à des royaumes d’Asie, le second à des monarchies africaines et “Prêches dans le désert” paru aux éditions Riquetti sont disponibles dans les librairies ou par l’auteur ; découvrez son site : cheuzeville.net . Vivant à Bastia, il présente une chronique hebdomadaire sur les ondes de Radio Salve Regina.