Article -Comment Napoléon III s’impose en modernisateur de la Corse ? Le Musée National de la Maison Bonaparte avait consacré en 2012 une exposition aux liens entre Napoléon III et la Corse. Francis Beretti revient sur ce catalogue d’exposition publié aux éditions Albiana.

A première vue, quand on feuillette rapidement  par curiosité, le catalogue de cette exposition,  il est évident qu’on manipule un bel ouvrage : le papier est  glacé, la  mise en page est élégante, les illustrations sont variées et impeccables. Quant au contenu, il est à la hauteur des attentes suscitées par cette première approche. En effet, le sujet est rendu encore plus intéressant  par les regards croisés, de douze auteurs,  issus de formations diverses: non seulement des historiens universitaires spécialistes de la période  mais aussi des historiens indépendants, des  conservateurs de bibliothèques et de musée, des écrivains, des journalistes.

Les Corses durant le Second Empire : une influence relative

La gloire de Napoléon Bonaparte est incontestable, et son règne une source d’études inépuisable. Mais quand on s’intéresse plus précisément à la Corse, il est juste que l’on mette à l’honneur son neveu, le dernier monarque de France, car son règne “a été pour la Corse un moment de développement privilégié” (Amory Lefébure). Avec Napoléon III, “la Corse entre à sa façon dans l’ère industrielle” (Jean-Marc Olivesi).

Alors, a-t-il trop favorisé ses compatriotes en les plaçant aux meilleurs postes?  Eric Anceau conteste, chiffres à l’appui, l’assertion selon laquelle il y aurait eu une sur-représentation des Corses au sein du gouvernement impérial.  En fait, les Corses étaient “loin de monopoliser tous les portefeuilles”. Il n’y eut que quatre ministres insulaires sur les soixante-deux que le régime a comptés, soit seulement 6, 5% de l’ensemble. En ce qui concerne les sénateurs, les Corses représentent 3% de la population française, “sans que l’on puisse pour autant parler de favoritisme éhonté”. “Les Corses sont présents dans toutes les sphères du pouvoir. Cependant, ils ne sont dominants nulle part”. Sampiero Sanguinetti considère 1848 comme une date-charnière dans les mutations du clan.

L’émergence du clanisme

Jacques-Pierre Abbatucci, garde des Sceaux de Napoléon III, chargé des affaires de la Corse

Désormais, les représentants, du fait de leur élection au suffrage universel, allaient acquérir une véritable légitimité, mais “la force du clan ne s’additionne pas à celle du peuple, elle s’en distingue, et elle prime”. En 1848, Louis-Napoléon est élu avec plus de 70% des voix (en Corse: 95%). “Les dirigeants républicains ont favorisé l’émergence d’un clan radical face au clan bonapartiste.

Le clanisme est alors devenu un véritable système. Le Second Empire est donc au coeur des mutations qu’a connues la Corse au dix-neuvième siècle”. Raphaël Lahlou définit Jacques-Pierre Abbatucci comme “l’homme-clé de la politique de développement de la Corse”. Il est certain que “se dire originaire de Corse laisse espérer des avantages”. Le satiriste Léon Bienvenu fustige “l’invasion corse dans tous les services publics”. Xavier Mauduit rétablit les faits sur ce sujet en individualisant les Corses qui entourent l’empereur, notamment Félix Baciocchi “le meneur attitré des divertissements de la cour”. Etienne Conti, Tito Franceschini Pietri, que l’on connaît mieux maintenant, grâce aussi à Sampiero Sanguinetti.

Les artisans du développement de la Corse

Thierry Choffat nous retrace, entre autres, la carrière “du plus célèbre des préfets corses”, Denis Gavini (de Campile), qui a marqué profondément la vie politique insulaire, au point de laisser son nom à son parti, “u gavinismu”. Autre personnalité remarquable, un véritable bienfaiteur, le docteur Henri Conneau, à l’origine des premiers soins médicaux gratuits en Corse, modernisateur de l’agriculture, “initiateur économique” (Emmanuelle Papot-Chanteranne).

Dès 1864, le docteur Conneau préconise alors l’installation du chemin de fer dans l’île. Le portrait particulièrement expressif de Vincent Benedetti, “le sphinx des Tuileries”, un grand professionnel de la diplomatie est brossé par Yves Bruley. Félix Baciocchi était chargé de tâches plus agréables, comme celle de de repérer “les danseuses les plus jolies” (Catherine Granger). Mais il contribua aussi à créer des chantiers navals à Ajaccio, et marqua de son empreinte l’urbanisme de “la ville impériale”, en faisant édifier sur le cours Grandval quatre maisons, les fameux “cuttesci”, qui signaient le label “Ajaccio station d’hiver” pour touristes  de l’époque victorienne. 

A lire aussi : Corsica imperiale, l’exposition du musée de Bastia consacrée aux relations entre Napoléon III et la Corse.

Les réalisations du Second Empire

A ce sujet, Audrey Giuliani et Jean-Marc Olivesi exposent les progrès apportés par le nouveau régime, et l’empreinte visible qu’il a laissée à Bastia. Le 12 mai 1858, à l’inauguration du nouveau palais de justice, près de 4.000 mille personnes assistent à cet événement. D’autre part, l’aspect général de la ville change radicalement. “Le plan à damier est adopté… sur des axes larges et aérés, les familles de notables font édifier de majestueuses demeures à la modénature soignée.”  Des notables de familles établies depuis longtemps, mais aussi des négociants et des industriels prospèrent, mettant ainsi en scène leur réussite. L’un des avantages d’un ouvrage soigneusement illustré, est que les images parlent d’elles-mêmes.

Napoléon III introduit le train en Corse

Prenons deux exemples. On voit côte à côte deux plans de l’église de Saint Jean-Baptiste, dressés par Paul -Augustin Viale; un projet d’inspiration néo-classique, l’autre “ conservato il suo antico stile”. C’est ce dernier que va retenir  le conseil de fabrique. Il illustre l’attachement des bastiais à la tradition baroque italienne, “non pas une simple déclinaison du baroque génois, mais une forme artistique qui a su se renouveler”.

Deuxième exemple. Si l’on rapproche la photo du Palais Valery, qui faisait l’ornement de la ville, du dessin représentant  la villa Valery à Cenaia ( dans la province de Pise), on comprend immédiatement pourquoi le riche armateur, qui avait des attaches sur les deux rives de la Tyrrhénienne,  avait choisi ce style. Du point de vue de l’histoire culturelle, le Second Empire marque aussi un tournant. C’est le moment où l’imprégnation italienne commence à céder la place à la présence française. La grande figure de Salvatore Viale incarne cette transition (Eugène Gherardi).

Une économie modernisée

Marco Cini fait par la suite le point sur les réalisations de l’empire. On a constaté une notable croissance démographique. Le réseau routier a été amélioré. Des canaux ont drainé les plaines insalubres. Le secteur agricole a progressé. Les activités artisanales, commerciales et manufacturières ont été en expansion, ainsi que  les secteurs miniers et métallurgiques. La manifestation la plus spectaculaire de cette amorce d’expansion (relative) est la participation de délégations corses aux expositions universelles de Paris et de Londres. L’intention était “de briser le cliché établi d’un département économiquement arriéré”.

En savoir plus

Musée national de la Maison Bonaparte. Napoléon III et la Corse. Notables du Second Empire, Ajaccio, Albiana, 2017, 126 pages, plus de 70 illustrations, 29 €.

Ont contribué à la rédaction de cet ouvrage: Eric ANCEAU, Yves BRULEY, Thierry CHOFFAT, Marco CINI, Eugène F.X. GHERARDI, Audrey GIULIANI, Catherine GRANGER, Raphaël LAHLOU, Xavier MAUDUIT, Jean-Marc OLIVESI, Emmanuelle PAPOT-CHANTERANE, Sampiero SANGUINETTI.


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