CHRONIQUE – Audrey Acquaviva commente le roman de Nina Bouraoui, Otages, qui a obtenu Le Prix Anaïs Nin 2020, publié aux éditions Jean-Claude Lattès.

Par Audrey Acquaviva

Otages de Nina Bouraoui est un roman complexe à l’écriture crue.

La narratrice y dresse son portrait, tout en évoquant la crise économique qui touche le pays. Le roman s’ouvre sur une situation banale : une femme quittée par son mari accepte cette séparation sans verser une larme. Elle cachant la violence qui se réveille en elle.

Son statut d’employée la comble, elle s’y accroche. Elle se sent utile. Doucement, le portrait sort du cadre du présent : ses émotions et ses gestes d’amour retenus envers son mari et ses enfants proviennent de son enfance. Elle a été marquée par le silence qui s’était installé entre ses parents. Elle réalise peu à peu qu’elle n’a pas été préparée aux difficultés de la vie. Au fil des pages, la narratrice saisit les raisons de la dissolution de son couple : l’habitude remplace les sentiments et le mur construit à quatre mains symbolise leur éloignement émotionnel. Elle n’hésite pas non plus à évoquer son manque de désir qu’elle apparente à « un élan de vie ». Au gré de ses réflexions et de son expérience, une image émerge  : la femme soumise à l’homme pour des raisons sociale, éducative et sexuelle. En parallèle, l’autrice évoque la crise économique actuelle à travers l’univers professionnel de son personnage. Et la violence qui en émane est aussi inouïe que multiple : celle que vivent les employés paralysés par la peur de perdre leur emploi ; celle du supérieur, tout puissant, déshumanisant les futurs licenciés en les désignant comme « nuisibles » ; celle de la narratrice qui en établissant la liste de ces pauvres élus sacrifie ses valeurs. Une fois son dernier rempart moral tombé, le personnage  se mue en justicière et séquestre son patron pour venger ses collègues déchus. Mais elle ne va pas jusqu’au bout de son projet  et est arrêtée. Enfin grâce à une réminiscence, une véritable libération émotionnelle s’opère en elle. Tout se remet en place et s’éclaire. Le viol, jusque-là occulté, dont elle a été victime adolescente, a brisé son « élan de vie ».  Son violeur  l’a maintenue durant toutes ces années sous son joug et a emprisonné  davantage ses émotions. L’intrigante forme plurielle du titre prend alors tout son sens. Et la rage vient de là, non pas  de la séparation ni même de la crise qui a mis à mal ses valeurs.   Le premier drame intime émeut le lecteur et le happe. Le second, social, le glace. On réalise que l’on est tous potentiellement l’otage de quelqu’un ou de quelque chose. Reste la fin du roman qui offre une bouleversante et paradoxale note d’espoir pour la narratrice.


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2 commentaires

  1. Cet article me donne vraiment envie de lire ce livre tout de suite! Et en plus, si le roman de termine sur une bouleversante note d’espoir, c’est encore mieux…

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