Dans son nouveau roman, l’auteur islandais Arnaldur Indridason démontre son inégalable capacité à exhumer ce qui réside au fond des âmes. Un regard à la fois intense et mélancolique.

Par : Antoine Giudicelli

Les enquêteurs dans la plupart des romans policiers ont beaucoup perdu de leur superbe. Exit les jeunes premiers, les beaux quadras musclés, les Dom Juan. Aujourd’hui ils ont vieilli. Ils sont bien souvent seuls et tellement désabusés qu’ils ne cherchent plus l’âme sœur, dînent seuls, sont malades et déprimés. C’est le cas de Konrad, policier à la retraite. Et s’il vit en Islande, les enquêtes qu’il mène dépassent les frontières de son pays.

Dans le nouveau roman d’Arnaldur Indridason, Konrad apprend la mort d’une vieille dame malade. Ce qui le ramène à leur rencontre quand elle lui avait demandé de l’aider et qu’il avait refusé ; croyant la tâche trop grande. Néanmoins, voir qu’on l’a étouffée, se rappeler sa quête et retrouver les étapes dramatiques de sa vie le plonge peu à peu dans le regret. Pourquoi n’a-t-il pas dit oui, pourquoi ne l’a-t-il pas aidée ?

Des portraits forts

Il enquête donc sur cette affaire, le drame de Valborg étouffée chez elle par quelqu’un qui lui a pris toutes ses économies, ainsi que sur une autre affaire personnelle. Celle qui le ronge, celle de son père, qui avec un acolyte a beaucoup menti et volé ; tout comme il a spolié une personne vulnérable. On l’a retrouvé mort devant les abattoirs de la ville. De fait, Konrad voudrait en savoir plus.

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Le roman d’Arnaldur Indridason est original. Construit de façon à donner une vue large des trames dans lesquelles des événements précis s’insèrent et causent des ruptures. Par exemple le début de ce roman donne à voir tout ce qui se passe en même temps dans divers logements pour créer le cadre du meurtre. Des vies plus légères, d’autres difficiles. Des couples, des souffrances, d’un étage à l’autre, en face, le tout perçu depuis une fenêtre

Il donne à voir, brosse des portraits forts. Comme celui de Konrad enfant, les acquis au surnaturel, la malheureuse Stella. Ou encore celui des membres d’une secte, d’un violeur, ou des petites frappes… À plusieurs reprises on quitte Konrad et d’autres personnages prennent la parole ou mènent l’enquête. C’est un roman qui tient en haleine car ce qui semblait difficile à déterminer va se préciser grâce à tous. Et l’opiniâtre Konrad va peu à peu retrouver l’image du puzzle et ainsi, lever de nombreux voiles.

Un récit qui révèle et dénonce 

Son humanité permet de comprendre le malheur qui a frappé Valborg. La jeune femme qui à la suite d’un viol a dû abandonner son enfant. Puis se sachant très malade, elle avait voulu le retrouver. Mais Konrad n’avait pas pris la mesure de l’intensité de sa demande. Il va reconstituer cette pauvre vie, tout entier occupé à réparer sa négligence, voire son indifférence lorsqu’elle lui avait demandé un entretien.

Le drame de Valborg est celui de bien des femmes violentées, forcées ; et qui pour une raison ou une autre, toute leur vie vont porter la pierre du remords. Valborg ne sait si dans sa jeunesse elle a mis au monde une fille ou un garçon. Ne sait qui a adopté ce bébé dont elle ne pouvait vouloir. Le lecteur voit avec les yeux de Konrad ce qu’elle a subi, s’apitoie et cesse de juger. 

Les thèmes du viol, de l’abandon d’enfant, de l’adoption, de la souffrance de ceux qui grandissent sans foyer aimant ; puis celui de l’escroquerie, devenu mode de vie, ou de la violence dans les foyers de façon plus générale font de ce roman un plaidoyer pour les plus vulnérables. Un appel à mesurer la force des prédateurs pour que les sociétés évoluent.

Plus qu’un crime passionnant à résoudre, un récit qui révèle et dénonce


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