Que restera-t-il après la dernière des dernières guerres ? Deux enfants devisent sur les ruines. Aux 23e rencontres de l’ARIA, six comédiens bouleversent les images et les temps, pour faire exister leurs voix, leurs figures.

Par : Sophie-Demichel Borghetti

« C‘est au cœur de la plus vieille ville des pays en guerre que commence notre histoire. Au lendemain de la dernière des dernières guerres. Au milieu des champs de ruines. Du temps brisé. Et de la poussière… »

Au-dessus des morts et des ruines, nos regards vont s’ouvrir sur ce qu’il reste de la vanité des affrontements vains parcourant l’Histoire.  

Les hommes ont joué, joué par délire, joué pour rien. Ils ont laissé partout des traces de guerre, les règles de la guerre. La terre a perdu. Le jeu fut cruel, et les règles se font faites lois. L’endroit des espoirs est devenu poussière. Là d’où l’on voudrait partir, où la seule issue semble la fuite. Mais elle semble, partout illusoire.

Mais il en reste deux.

Deux enfants. Seuls. Deux enfants se retrouvent au milieu des ruines d’une guerre qui n’en finit pas de finir. Il y a peut-être, quelque part, des « pays de paix », des villes en paix où des familles sont heureuses… Mais où ? Mais pour qui ? Et à quel prix : celui des cris, des pleurs de ces enfants laissés là, dans les « pays en guerre », qui disent la vérité de tous les lieux du monde.

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Il en reste deux, deux qui sont six. Six comédiens à s’échanger, se transformer, faire naître du délire théâtral une réalité. Ces comédiens se mêlent, se doublent, s’accordent. Ils ouvrent le point aveugle du temps, sont ensemble en même temps, au même moment.  Ils bouleversent les images et les temps, pour faire exister les voix, les figures de ces deux enfants-là ; en incarner les présences symboliques, les transparences enfantines. Celles de ceux-là qui vont tenter leur survie dans ce désert.

Dessiner l’utopie

Et quand le son incroyable, forçant les difficultés de l’espace et de l’ombre, rejoint et renforce l’amitié artistique de ces magiciens-là, ces corps marquent l’espace ensemble, inventent un territoire unique, font monde. C’est ce monde à part qui devient le nôtre : La violence de ces figures, devenues icônes, la puissance de leurs mots nous y enferment.

Si certains ont espéré changer le monde, nos larmes devant les efforts magnifiques et désespérés de ces enfants marquent que c’est bien le monde qui nous a changés. Même s’il reste des enfants qui persistent à dessiner l’utopie d’un autre temps, d’un bonheur perdu.

Et l’on attend toujours ce qui ne revient pas. Et les enfants hurlent vers rien, sans écho, dans le silence. Mais comment survivre autrement au-dessus des ruines ? Sauf à rêver à un départ, toujours plus loin… mais l’issue n’en sera-elle pas toujours décevante ?

Alors, ce texte, ciselé et perçant au point qu’il « brûle comme ne peut  brûler que de la glace », fait souffler sur nos conforts les échos brechtiens, l’ironie de l’histoire et les braises encore brûlantes des ruines de la guerre, de toutes les guerres, celles que nous croyons gagnées, mais aussi celles qui attendent dans «  ce clair obscur [où] surgissent les monstres ».

Nous ne saurons si ceux-là, rescapés provisoirement du pire, auront encore à pleurer ou à rire, mais nous savons qu’ils peuvent chanter « L’Éveil du printemps » :

« Nous pouvons tout. Donne-moi la main ! … Nous ignorons le masque du comédien et voyons le poète mettre le masque dans la nuit. Nous découvrons celui qui est comblé même dans son dénuement… Nous pouvons surprendre l'innocence solitaire lorsqu'elle a soif d’amour... ».

L’amour, le vrai, qui n’est ni calcul, ni intérêt, mais enfance, innocence, cet infini d’amour peut-il changer les règles du jeu ? L’ultime lumière en ouvre l’espoir. Alors, nous pourrons croire que la fin sera belle.

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