Dans la nuit du 8 au 9 août 1969, une chaleur entêtante pèse sur les hauteurs de Beverly Hills. De façon furtive, quatre silhouettes s’extirpent d’une villa située au 10050 Cielo Drive : trois filles Susan, Patricia, Linda et un garçon Tex. Ils font partie de la secte de Manson sorte de gourou illuminé vouant une haine insensée à la totalité de l’humanité. Manson leur avait demandé d’aller « tuer les porcs ». L’expédition visait le manager des Beach Boys. Le hasard, les événements en décideront autrement. Ce seront Sharon Tate, l’épouse de Roman Polanski, alors enceinte de huit mois et ses amis Wojciech Frykowski, Abigail Folger, Jay Sebring et Stevent Parent. Tout ça pour rien… Un massacre né de la volonté d’un fou qui avait imaginé une guerre apocalyptique entre les blancs et les noirs, le Helter Skelter. Les images et témoignages de l’époque traduisent le choc que fut cet événement. Quelque chose s’était brisée. Le temps des Flower Power était définitivement résolu. La fin d’un monde, la fin de l’insouciance.

Quatre décennies plus tard, deux auteurs s’emparent du sujet. Le hasard des publications fait que leur ouvrage paraisse en même temps. Simon Liberati est dit-il fasciné par le sujet. Dans son roman California Girls, il a choisi d’éclairer les fameuses dernières trente six heures qui ont vu le déchaînement de cette équipée sauvage. Dans une écriture factuelle, l’auteur raconte la folie, le déchaînement, la sauvagerie sans filtre, sans pathos, sans voyeurisme. L’efficacité narrative ne fait qu’accentuer le trouble du lecteur qui mesure non seulement la gratuité de l’acte mais aussi la dimension démoniaque des personnages. Car que sont ces filles si ce n’est des démones avides de plaire et complaire au maître. On trouvera des portraits saisissants dans ce livre : ces filles sales, puant la pisse et le liquide séminale. On rencontrera la folie et la démesure qui mènent forcément au tragique le plus horrible qui soit. On comprendra d’autant mieux l’atrocité des dernières minutes de Sharon Tate face à la cruauté de Susan qui est dénuée de compassion.

 

 

Dans Girl, Emma Cline, cette jeune auteure d’Outre-Atlantique s’est quant à elle davantage éloignée de la réalité comme pour mieux nous faire saisir la déréliction de cette bande de filles paumées et désoeuvrées des années soixante. Sa narratrice fictive, Evie Boyd la cinquantaine bien tapée se remémore son adolescence. Elle a quatorze ans. Elle est malheureuse à côté d’une mère qui a totalement pété les plombs après son divorce. Plus de repères, moins d’amour bref une espèce de vie triste et monotone sans perspective aucune. Alors il en fallait peu à la petite Evie pour basculer de l’autre côté. L’autre côté ce seront ces filles qui vident un containeur. Une, en particulier : Susan qui va subjuguer Evie, qui va l’initier. Evie suivra et fera ce qu’on lui dira. Il faudra plaire à Russel (comprenez Manson) quitte à en perdre son âme.
Ces deux romans au titre quasiment similaire ont pour parti pris de s’intéresser cette fois-ci non pas à Manson mais à ses filles. Celles-là même qui le jour du procès sont arrivées en chantonnant. Liberati s’interroge sur la dimension diabolique des personnages. Il donne à voir cette sorte d’hystérie collective qui saisit cette bande se transformant sous nos yeux en d’étranges dégénérés. L’humain n’a pas de limite dans la cruauté et Liberati nous le prouve sans pour autant apporter de réponses à la folie de cette clique. Emma Cline est plus psychologisante et son propos porte plus sur la violence de l’adolescence, moment transitionnel pour une jeune fille. L’auteure interroge la condition féminine de l’époque et le désarroi dans lequel sont plongées ces filles au moment de leur construction. Avec finesse et dans une écriture racée pleine de promesses, elle offre un portrait de femme cabossé par la vie extrêmement abouti.
Au-delà des considérations esthétiques à propos de ces deux romans, on peut être sensible à la capacité de la littérature à s’emparer de fait divers et à les transcender. Le fait, la cruauté, la folie deviennent des motifs littéraires propres à susciter chez tout un chacun un questionnement sur l’existence et le comportement humain. Ce dernier dans ces deux romans ne peut que nous interpeller et nous donner à réfléchir sur la nature humaine, sur ce qu’elle est capable de faire et c’est d’autant plus frappant que l’horreur se matérialise à travers ces trois filles à peine sorties de l’enfance. La perte, la vacuité, l’errance et le désespoir sont sans doute les clefs de ces romans.

    Nathalie Malpelli


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