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A l’occasion du trentième Festival du film italien, sera projeté le film des frères Taviani, Una questione privata, adaptation du roman éponyme de l’écrivain et ex partigiano Beppe Fenoglio. Je m’étais intéressée dans mon précédent article à la transposition au cinéma de deux romans de la récente littérature transalpine (Les deux films étaient La tenerezza qui sera présenté d’ailleurs durant le Festival et à La ragazza nella nebbia). N’ayant pas encore vu le film qui s’annonce particulièrement intéressant, je me suis penchée sur le roman de Fenoglio qui constitue une œuvre majeure de la littérature italienne de l’après guerre

 
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BEPPE FENOGLIO
Beppe Fenoglio, né Giuseppe Fenoglio originaire de la région Langhes, qui sera le théâtre fascinant de ses œuvres, est un écrivain, issu d’une famille modeste, son père étant boucher dans la petite ville de Alba. Sa formation intellectuelle débute durant ses années de lycée auprès de ses professeurs dont certains seront pour lui de véritables maitres à penser et deviendront par la suite des compagnons de Résistance. Parallèlement le jeune adolescent se passionne pour la littérature anglaise et américaine, influences qui imprégnent son tissu narratif. Ses études universitaires sont perturbées par la situation politique et la guerre, en 1943 il suit un cours d’officier puis s’engage dans la résistance d’abord aux côté des brigades garibaldines puis au sein des troupes de Badoglio. Aux lendemains de la guerre il aspire à écrire mais il est obligé de subvenir à ses besoins, en travaillant dans une entreprise oeonologique qui l’engage au vu de ses compétences en anglais . Il mène de front son emploi de traducteur et son activité d’écrivain . Quelques nouvelles sont publiées qui témoignent de son expérience de partisan. A l’aube de la quarantaine, c’est un auteur à la rénommée circonscrite uniquement aux cercles culturels exclusifs de la littérature piémontaise, il est proche cependant d écrivains déjà connus comme Italo Calvino. C’est aussi le moment pour Fenoglio d’une crise existentielle, l’auteur refuse une œuvre monothématique qui serait vampirisée par son expérience de la guerre civile dans les Langhes. Il veut écrire « un libro grosso » qui lui permettrait de s’affranchir de son expérience d’ex partigiano, mais aussi de sa condition d’écrivain de la mémoire partisane. « Basta coi partigiani ». Se pose alors le problème de la forme pour Fenoglio et pour d’autres auteurs. Retranscrire ce moment exceptionnel de l’histoire italienne apparaît comme un défi inédit pour les auteurs transalpins.

ECRIRE LA RESISTANCE
De nombreux témoignages apparaissent très vite en Italie mais sur le plan romanesque le bât blesse et à partir de 1949 s’ouvre dans la péninsule une querelle littéraire, dont le chef de file est Italo Calvino, auteur du très beau Sentieri dei nidi di ragno, dans lequel l’écrivain montre le conflit à travers les yeux d’un enfant Pin et tente à travers la microhistoire de livrer un roman libéré de la mémoire individuelle et de l’autobiographie, aspirant ainsi à l’universalité. Calvino appelle de ses voeux le roman qui sera la Résistance, « il poema » chantant la lutte entre fascistes et anti-fascistes et le spectre de « l’Italia senza » affleure, la polémique rappelle celle des intellectuels du XXVIIIème qui se lamentaient de l’absence en Italie de tragédiens. Avec son « libro grosso » Fenoglio voudrait résoudre cette équation de la représentation de la lutte fratricide des années quarante, mais l’écrivain considère finalement cette tentative comme un échec qui provoque la scission de sa maxioeuvre en deux : naissent de cet ébauche du « libro grosso », qui suit les vicissitudes du résistant Johnny, deux livres Primavera di bellezza et Il partigiano Johnny, volume qui paraitra posthume en 1968. Fenoglio résume cette expérience comme la création d’une œuvre aromanesque, qui se noie selon lui sous la multitude des personnages et des évènements, le cycle de Johnny échoue et de ses ruines naissent toute une série de microrécits comme si Fenoglio se rendait compte de l’impossibité de résumer, de représenter en une seule fois la Résistance.Le jugement de Fenoflio apparaît particulièrement sévère à propos ces deux œuvres qui sont considérées aujourd’hui comme des œuvres essentielles de la littérature de la Résistance. On assiste à une diminution notable des œuvres sur la lutte à la fin des années cinquante, et l’absence du Roman qui sera la Résistance est toujours d’actualité,cependant au début des années soixante resurgissent des romans intéressants sur ce moment de l’histoire sous l’impulsion peut-être d’une crise politique avec l ‘autorisation de rassemblements néofascistes qui éveillent les mémoires de la Résistance. Fenoglio reprend sa quête du Roman de la Résistance.

UN « VERO » ROMANZO
Pour son nouveau roman sur la guerre civile, Fenoglio cherche à se concentrer sur un unique épisode, situé pendant l’été 44 et dans lequel l’auteur essaie de faire converger tous les éléments et les aspects de la guerre civile. Les espoirs du « libro grosso », une fois évanouis, l’auteur piémontais s’attaque à un « vero » roman partisan. Qu’ est-ce Fenoglio entend par roman ? Pour lui un « vrai » roman ne se contente pas de suivre les péripéties d’un personnage du début à la fin de la guerre, selon le projet originel du « libro grosso », le roman se concentrera sur un nombre réduit de personnages et d’évènements. L’histoire de Johnny semblait être modelée surtout à partir de la mémoire partisane et c’est sans doute pourquoi Fenoglio parlait de roman « aromanesque », car le parcours de Johnny ressemble à tant d’autres parcours de jeunes partisans.Le point de départ pour Una questione privata est l’intrigue romanesque et le rapport entre la petite histoire du protagoniste et la grande Histoire collective revêt une configuration inédite. Le personnage principal est Milton, résistant et aussi amoureux malheureux, victime d’un système triangulaire formé également par Fulvia, la femme désirée par le protagoniste mais aussi par Giorgio, ami de Milton et compagnon de lutte antifasciste. Giorgio sera capturé par les fascistes et Milton essaiera de sauver son ami mais aussi de comprendre la nature de la relation entre Fulvia et celui-ci. « Amori » et « armi » s’entremèlent, et cest pour cela que Calvino rapprochera le roman fenogliano à l’Orlando Furioso.Les critiques seront mitigées, beaucoup reprocheront à l’auteur d’oberver la guerre civile par le prisme de l’histoire d’amour mais le jugement de Calvino est plus qu’enthousiaste : « Il libro che la nostra generazione voleva fare adesso c’è, e il nostro lavoro ha un coronamento e un senso, e solo ora grazie a Fenoglio possiamo dire che una stagione è compiuta, solo ora siamo certi che è veramente esistita… », « Una questione privata rappresenta la Resistenza ». Donc maintenant le « vrai » Roman de Résistance existe et à travers lui Fenoglio livre une oeuvre inspirée qui reflète la péculiarité et l’ambiguité de cet épisode, de cet arc temporel de vingt mois, où les hommes peuvent être tour à tour victimes et bourreaux. La disparition prématurée de l’écrivain emporté par un cancer des poumons signe la fin d’une œuvre majeure .
LE FILM
Nous aurons donc la chance de voir l ‘adaptation de ce roman clé de la littérature contemporaine transalpine par les frères Taviani , maitres du cinéma italien qui reviennent pour la seconde fois sur cet épisode emblématique de l’histoire italienne, après « La notte di San Lorenzo », sorti en 1982. A noter l’interprétation de Luca Marinelli, nouvelle coqueluche du cinéma italien qui laisse présager une incarnation fièvreuse et inspirée du personnage de Milton

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Mia BENEDETTO
 
 

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