L’usure d’un monde paru aux éditions Gallimard est le récit lumineux de François-Henri Deserable, un périple captivant de 40 jours en Iran.

Par : Caroline Vialle

Depuis que j’avais lu, il y a quelques semaines, un extrait de « L’usure d’un monde » dans le journal du dimanche en patientant à  l’aéroport d’Orly, j’attendais impatiemment le 4 Mai, date de sortie du livre. Et encore plus impatiemment de pouvoir m’y plonger.

Mais est-ce que ce que ce que je vais écrire va compter ? J’en doute car fondamentalement, je me rends compte que je suis déjà conquise à l’écriture de FHD, et que, avant d’avoir tourné la première page, les dés  sont jetés (ou pipés ?) : je sais que je vais aimer. Oui mais là,  c’est plus. Bien sûr je retrouve tout : cette façon de parler au lecteur comme à son copain, au moment de l’apéro, à raconter les dernières nouvelles en le prenant par l’épaule, en franc camarade qu’on le devine être.

Le style est direct, les remarques objectives, François-Henri écrit comme il parle, à moins que ce ne soit le contraire. Il est entier dans la vie, il est entier dans l’écriture. Et qu’il se jette dans ce voyage comme on jette une bouteille à la mer, avec tous les aléas possibles et les dangers imaginables, cela finalement ne nous étonne plus vraiment. Ce n’est pas un écrivain parisien confortable comme son physique de jeune premier pourrait nous le laisser penser au premier abord. D’ailleurs, en aurait-on encore douté,  il écrit, avec une ironie acerbe et une profonde désillusion, à propos d’un journaliste dont il a probablement idéalisé le travail avant de comprendre que, sans  quitter son canapé, il réussissait à écrire des papiers sur l’Iran plus vrais que nature :

« Et tout cela avait été pensé,  composé, fignolé à  5.000km de Téhéran. Je l’enviais. Moi, j’en étais incapable : pas assez d’imagination. Pour me faire une idée de l’endroit, j’avais encore besoin d’aller sur place ».


Vivre intensément les choses pour rendre un travail intensément vrai. Parce que FH ne voyage pas confortablement, il campe, dort chez l’habitant, mange un peu au hasard ce qu’on lui propose (essentiellement d’ailleurs toujours la même chose, mais il vous le dira lui-même), se déplace en stop, à pied, en train, partageant sa cabine couchette avec les locaux. C’est pour ça que, avec un regard ouvert sur la beauté du monde, c’est malgré tout les personnalités des femmes et des hommes rencontrés au hasard du chemin dont il parle le mieux.

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Un vibrant hommage

FH prend des risques, avec ses lecteurs, avec  lui-même, avec la vie, il ne tergiverse pas, il n’arrondit pas, il pense, il tranche, il ose. Il admire et il le dit, il déteste et il le dit aussi. En l’occurrence il admire Nicolas Bouvier et les femmes iraniennes,  suffisamment pour leur rendre un vibrant hommage. Il déteste le régime iranien,  suffisamment pour  l’écrire.
Et en même temps, une franche bonhomie qui se détache de son livre et de sa personne, qui rend les deux éminemment sympathiques.

Au-delà de ce qui a été dit précédemment, j’y ai trouvé une véritable humanité, et même un humanisme. FHD aime son prochain, c’est une évidence.
Mais comment ne pas aimer ce peuple courage qui se bat pour des libertés essentielles, ces femmes qui luttent pour pouvoir étudier et travailler, alors qu’en France  nous passons notre temps à nous battre pour travailler moins. Pourquoi nous battrions-nous sinon puisque nous avons tout, l’essentiel et le superflu. Savoir se contenter n’est décidément pas pour nous, occidentaux, qui finissons bien, hélas, par passer à côté de l’essentiel.

Page 41, la peur et le courage:
« Elle a pris une grande inspiration, a mis ses mains en cornet, et aussi fort qu’elle le pouvait elle a crié « Marg bar dictator! » mort au dictateur!(…) je me suis tu, et j’ai fait comme si je n’étais pas avec elle (…) j’ai eu peur, peur de me faire tabasser, et de me faire arrêter, et de finir en prison, et d’y rester pour longtemps (…) cette petite lâcheté, cette démission du courage m’a fait honte… »

Un courage incroyable

Le courage est aussi de dire son manque de courage face à cette fille,  cette iranienne,  qui a hurlé dans la rue, contre le régime, avec, certes, un courage incroyable. Certains diront qu’elle n’avait plus rien à perdre. On peut toujours perdre plus.
Ça fourmille de renseignements sur ce pays qu’on connait tous sans le connaître, cet espèce de mythe de ce qu’il faut combattre : la privation de liberté, la corruption, la déchéance d’une société et d’un régime, le possible de ce qui peut tous nous attendre dans les aléas de l’Histoire. Et en même temps, la conscience de la grandeur qui a fait un jour cette civilisation.

C’est raconté sur un ton parfois humoristique qui donne un recul nécessaire et une forme de légèreté à certains paragraphes du livre ("Kashan c'est peut dire que je m'y suis emmerdé. Tout de même, le matin du départ, un de ces moments de grâce éphémère qui font le sel des voyages..."),  qui alternent  avec d’autres, plus sombres et plus tragiques. C'est sociétal, politique, historique. C'est la vie.
Qom, kashan, Ispahan, Shiraz... c'est la route de l’Iran qui défile, les paysages, ses femmes et ses hommes, avec leurs peurs, leurs souffrances, leurs codes "Ta'ârof", et parfois la beauté d’un village, ou d’un regard au détour du chemin.

FH marche sur les traces de N.Bouvier, au sens propre, mais, d’une certaine façon sur celles de tous les écrivains voyageurs. On pense à S.Tesson, mais il y en a bien d’autres dont il émaille son récit de phrases et de citations.
C’est malgré  tout un style bien à lui que l’on retrouve livre après livre, chaque fois plus affirmé et plus affiné pour notre plus grand bonheur de lecteur (trice). 



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1 commentaire

  1. Très bel article comme, nous ne pouvons en douter, le récit de Francois -Henri doit l’être…Je cours chez mon libraire, en attendant de le faire dédicacer cet été!…

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