par Nathalie Malpelli

C’est vrai, Virginie Despentes semble un être tourmenté, un peu ces profils d’auteur tiraillé par ses propres démons. On dit d’elle qu’elle a eu une écriture trash, des sujets provocateurs, un parcours chaotique.
Aujourd’hui, à quarante-cinq, elle publie un roman bilan qui lui ressemble et qui en même temps la révèle plus que jamais.

À travers son personnage central, Vernon Subutex , ancien tenancier du
magasin de disques Révolver, adresse mythique dans les années 80/90, elle nous embarque dans un Paris contemporain, sombre et infiniment urbain. Emporté par la vague Napster et autre Itunes, Vernon  ferme boutique en 2006. Vient alors la période des vaches maigres pour Vernon qui vivote dans sa location : il rogne sur la nourriture, fume les mégots trouvés ça et là, attend tous les mois son RSA, bref la galère…Heureusement son ami Alex Bleach, devenu une icône du rock, le tire de temps en temps de ses mauvais plans  en lui réglant ses loyers impayés.
            Sauf qu’en 2010, Alex Bleach est retrouvé mort d’une overdose dans sa salle de bains : Vernon n’a plus un kopeck en poche, son propriétaire le jette dehors…
            Le voilà dans la rue : un sac sur le dos et surtout trois enregistrements de confession de Bleach laissés un soir de défonce… trois enregistrements qui vont susciter l’intérêt du monde du show-biz sans que Vernon le sache. De son passé, ce dernier a gardé un carnet d’adresses fourni qui lui permet de ne pas se retrouver dans la rue.
            Le roman est donc rythmé par les différents séjours de Vernon chez les uns et les autres. Une galerie de personnages révélatrice de la société du XXIème siècle : un Paris crasseux, paumé, triste…
            L’habileté de la romancière tient sans doute  dans le fait de raconter un monde  qui n’est plus à travers le prisme d’un regard usé, celui de Vernon. Un monde révolu et  un monde tel que nous le connaissons. Que reste-t-il à Vernon ? Cet ange déchu du rock traverse Paris en nous permettant d’entrevoir à quoi ressemble cette ville.
            Aux rêves, aux illusions, à l’idée d’un monde meilleur ont succédé la drogue, le sida, la pornographie, le conformisme, l’argent…Une rupture dirons-nous. Elle se matérialise par la musique, par ces influences musicales qui résonnent de façon lancinante dans le roman. La question est de savoir « après ce que l’on a fait à 20 ans que sommes-nous devenus à 45 ? » À 20 ans Vernon et ses amis étaient punks, ils écoutaient de la musique underground, du hardcore et puis et puis…Vieillir pour un rocker c’est dur, c’est moche. Ça n’est pas compatible !
            Le rock underground est carrément  un idéal de vie. Musique alternative, elle refuse le conformisme, les lobbys, c’est une musique indépendante qui ne rentre pas dans les rangs. C’est un mode de vie quoi ! Lorsque dans les années 90 Nirvana groupe underground aux influences grunge devient célèbre, devient mainstream, cela a marqué la fin de quelque chose : la fin du rock et de certaines aventures politiques. Le rock subversif contestataire et dangereux c’en est terminé ! il ne reste plus grand chose si ce n’est quelques bandes sons et les vêtements qui vont avec. Les vestiges d’un ancien monde. C’est angoissant de penser que ceux qui ont figuré la révolte sont devenus les icônes du grunge tellement académiques. Oui le grunge s’est installé chez les bobos !Mêmes les parisiennes les plus chics arboraient leurs jeans déchirés en écoutant rêveusement  « Where did
you sleep last night ? » en fantasmant comme des folles sur le sulfureux Kurt Cobain.
            Le début des années 2000 est marqué par un grand vide utopique. Le rock devient comme le jazz. On l’écoute mais la force que cela véhicule s’est perdue. Sa force, la révolte qu’il porte naturellement en lui a totalement disparu. Belle musique, belles références mais bon pour le reste, faudra repasser car il n’a plus l’allure rebelle qui le définissait. Faut croire qu’il ne reste que les vinyls…
            Vernon est l’incarnation de ce monde déchu. Il erre dans
ce Paris des années 2000, traînant avec lui les dernières effluves de
cette musique, de cette culture rock. C’est ce qui rend d’ailleurs
fascinant ce personnage.
            Dans ce livre patchwork qui traverse toutes les couches de la société on peut entrevoir l’évolution de ce monde : la groupie du groupe rock qui devenue grasse a perdu toutes ses illusions, le mec de droite qui s’est embourgeoisé, le trader cocaïné, la star du porno.. l’avant et l’après. Le constat de Despentes à 45ans est terrible. Ce Paris qu’elle dessine est une ville en dépression, glauque et trash.
Le vide urbain…L’enfer sur terre.
            Elle m’a semblée balzacienne, Virginie Despentes, dans sa façon de brosser cette société qui se cherche, ces personnages qui nous ressemblent tant. Une topographie dirons-nous et du talent à en revendre. Je crois bien qu’on a là un très beau roman.

Article réédité, première mise en ligne , Avril 2015

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