INTERVIEW – Durant la période de confinement, nous avons voulu prendre des nouvelles de Carole Zalberg, auteure du magnifique Où vivre , publié aux éditions Grasset. Carole Zalberg a été affectée par la maladie. C’est depuis cette épreuve qu’elle désire penser le monde d’après.
Musanostra : Pour vous qui avez des liens forts avec votre lectorat, le confinement doit être difficile à vivre.
Carole Zalberg. À cette question, j’ai envie de répondre par l’une de mes petites chroniques de confinement:
Jour42 (27avril)
2020 année désertique
Jusqu’ici, j’allais mal mais tout allait bien. Plus exactement, j’étais si occupée à lutter contre les effets persistants du grand méchant virus que j’étais dans mon présent comme jamais. Focalisée sur ma respiration, sur les disparitions et réapparitions des symptômes, je ne repensais pas à hier, je ne me projetais pas demain. Cet état quasi animal avait du bon : je n’avais pas d’autre inquiétude que celle de voir se terminer cette fichue maladie. Ma première pensée au réveil était pour mon souffle. Mon premier vœu du jour était de retrouver l’énergie et que cessent les vagues de frissons. N’étant qu’un corps, j’avais aussi la capacité de prendre une part de la peur et de la peine collectives, des angoisses passant sans trop m’atteindre.
Me voilà exaucée. Depuis peu, je respire, je bouge sans m’épuiser. Même la toux est en train de me quitter.
Mais tout s’engouffre avec la vitalité revenue : la nostalgie pour les années récentes si riches en rencontres, en interventions, en échanges et découvertes liés aux livres, les incertitudes quant à ce qui nous attend, l’angoisse partagée avec tous ceux dont l’activité est durablement paralysée.
On nous dira d’écrire, de créer au moins, puisque ça, on le peut. Et peut-être qu’en effet, cette fin d’un monde sera pour certains une formidable source d’inspiration. Mais sans les événements qui les portent, les mettent plus concrètement au monde, quelle satisfaction tirerons-nous de nos inventions? Sans la chair, sans la présence et les regards occupant un même espace, n’allons-nous pas nous assécher plus vite que fleur privée d’eau? Sans la sève du partage, n’allons-nous pas casser comme de vieux troncs creux?
Aujourd’hui n’est pas une bonne journée, pardon.
M : Chacun des responsables politiques et sanitaires change d’avis. Gardez-vous confiance en eux ?
C.Z : J’essaie d’intégrer la notion d’incertitude liée à une situation inédite. J’ai une grande confiance dans ceux qui doutent et cherchent, et je sais que la science, avant de trouver, se trompe beaucoup, tâtonne, connaît des avancées de hasard. On attend des politiques qu’ils affirment, informent sans hésitation ni erreurs mais avec prudence. Franchement, je ne prendrais leur place pour rien au monde, quel que soit le pouvoir allant avec la fonction. Je tâche donc d’accompagner les flottements avec souplesse et sans impatience.
M : Certains estiment que cette crise changera le monde. Si le monde devait changer, de quel ordre serait ce changement ?
C.Z : On pourrait espérer un retour à l’essentiel, une prise de conscience face aux risques environnementaux, la persistance de liens nouveaux, nés à la faveur du confinement. Je crains, hélas, à voir par exemple les files de voitures attendant au McDo drive, que tout reparte avec une plus grande frénésie encore. A chacun, toutefois, de décider s’il conserve le meilleur à l’issue de cette période extraordinaire. Ce qui changera durablement, bien malgré nous, c’est la spontanéité des étreintes, des embrassades, de ces contacts physiques pourtant vitaux. Cela me peine terriblement.
M : Trouvez-vous le temps de lire et écrire en temps de confinement ?
C.Z : J’ai bataillé avec le Covid durant près de six semaines, avec l’épuisement et l’intranquillité que cela implique. J’ai donc plutôt moins lu qu’en temps normal et rien écrit en dehors de ces petites chroniques postées sur Instagram (mon profil FB est bloqué pour une raison absurde et inextricable), qui sont bouteilles à la mer et gammes, pour continuer une sorte de conversation et pour ne pas rouiller. D’une manière générale, je suis, comme beaucoup, moins concentrée que d’habitude. Mais je ne connais toujours pas l’ennui.
M : Les acteurs du monde du livre ont du mal à se projeter. Les dates ne peuvent être vraiment fixées, tout devient encore plus difficile, pour les éditeurs, les libraires. Vous avez souvent défendu le statut des auteurs.
Avez-vous des idées sur ce qu’il faudrait faire ?
C.Z : À part aider matériellement toute la chaîne du livre, il est vraiment difficile d’imaginer des solutions tant qu’on n’y voit pas plus clair. La seule chose qu’on pourrait peut-être d’ores et déjà envisager, c’est de casser enfin le moule des sacro-saintes rentrées de septembre et janvier, pour répartir plus harmonieusement les publications. Ce serait un effet heureux de ce qui est jusqu’à présent un désastre sans précédent pour le secteur de la culture en général et pour les auteurs en particulier, qui perdent dans leur grande majorité la totalité de leurs revenus.
M : Qu’espérez-vous pouvoir mener à bien en cette si étrange et terrible année ?
C.Z : Dès que les librairies rouvriront, je pourrai me procurer les ouvrages dont j’ai besoin pour mon nouveau projet de roman. J’espère alors réussir à me mettre au travail. J’attends par ailleurs de pouvoir retourner dans mon havre corse. Je ne promets pas d’en repartir…
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