Quentin Biasiolo, dont le premier roman, « L’amour s’accorde avec la nuit », paraît chez L’Harmattan, avait déjà publié en 2016 le recueil de poèmes « Restes ».

Par Caroline Vialle

Le roman d’apprentissage de Quentin Biasiolo

Il choisit de citer Shakespeare et Victor Hugo pour introduire son récit comme un grand poème sur l’amour (« Parce que tout roman doit être un grand poème »), mais aussi sur les sentiments confus d’un adolescent en pleine éclosion de sa propre vie intérieure.

Une description de l’univers familial

Le récit débute à la première personne avec une description de la cellule familiale telle que la vit l’adolescent. Et le mot cellule prend tout son sens au fil des phrases décrivant la dérive progressive mais inexorable d’une vie familiale dont le fils, jeune adolescent, se sent observateur froid et lucide. Intimement lié malgré lui à des parents envers qui il ne semble éprouver ni amour ni haine, mais un profond détachement et un rejet total de ce qu’il les voit devenir. Le texte, ciselé et tranchant, reflète un univers étriqué. Il frôle la misère financière autant qu’intellectuelle.


Un roman d’amour

Tombé amoureux d une jeune fille pour son prénom, Salema, cette idylle qui va se poursuivre  plusieurs années s’articule autour de la restriction totale de liberté de l adolescente par ses parents. De confession musulmane, ils ne tolèrent pas cette relation dont ils ignorent l’existence, et qu’ils finissent par découvrir dans des conditions aussi traumatisantes pour eux que pour les deux enfants.

Tout sera fait pour les séparer, et si les efforts parentaux sont vains, l’amour s’érode malgré tout au fil des pages, avec la rugosité des conditions imposées et le temps qui passe. Le récit vient rebondir sur le sujet de thèse et de prédilection de l’écrivain, ancien élève de l’École Normale Supérieure, agrégé et Docteur de philosophie: « L’amour à l’épreuve du temps ».


Ainsi parle l’adolescent suite à une énième interdiction de voir son amoureuse : « Aujourd’hui nous avions donc perdu cet invisible lien qui ne se fait sentir qu’en s’absentant ».

L’art et l’amour

Dans sa découverte à la fois du corps de la femme et de l’amour, c’est l’art qui est invoqué pour se rapprocher au plus près des émotions. Klimt, Chagall, Renoir, Cézanne ou encore Modigliani, des artistes qui ont travaillé la lumière, la couleur, les émotions des visages et du corps, le couple aussi, et la femme dans ce qu’elle représente de plus sculptural, éphémère et mystérieux. La muse de l’artiste peintre et de celui des mots.


Tour à tour, il aborde les thèmes de l’amour, la confiance, l’injustice, la liberté, la famille, la sexualité, le désir, l’enfance, la peur, le mensonge, l’intolérance des religions. Car c’est bien toutes les religions qui pourraient être concernées dans ce qu’elles ont de plus culpabilisateur  pour ce qui s’articule autour du plaisir charnel, et de plus réducteur des libertés individuelles, chez la femme en particulier, et dans la société de façon générale. 


Le temps qui passe, l’amour qui passe, l’amour mis à l’épreuve du temps. Et toujours la poésie dans la description d’un nu, de la rondeur, de la douceur, de la clarté, de la lumière. Quentin Biasiolo mêle l’art à l’amour et fait de ses nuits auprès de la jeune fille des tableaux vivants:

Son ventre légèrement arrondi et ses mains le long des fesses, ses bras très fins, comme un cadre. Puis, la main se portant aux cheveux, parce qu’ il est difficile de rester immobile – longs cheveux détachés dévalant sur le haut de son buste, couvrant et découvrant les seins, ses seins assombris par l’heure tardive, seins suspendus là comme deux planètes sœurs – planètes semblant ce soir, et comme à chaque fois, c’est vrai, comme inexplorées et dont mes doigts voudront sans doute encore être les premiers et les derniers occupants. (…)  Et dans un sens nous étions d’accord ce n’était sans doute pas là des choses de notre âge mais ces choses censées être faites pour nous on nous les avait refusées. Nous nous serions largement contentés d aller ensemble au cinéma mais ses parents le lui interdisaient. Ces choses pour lesquelles nous étions trop jeunes, les adultes eux-mêmes en étaient,  pour une part, responsables; ils nous y avaient poussé en nous empêchant de jouir des choses les plus simples ou les plus enfantines.

L’amour destructeur

Puis le livre bascule brutalement pour retrouver le ton glaçant et grinçant des premières pages. Tel qu’il avait décrit la famille,  Quentin Biasiolo écrit l’amour qui s’en va:

En son absence, la simple vision de ses chaussettes un peu sales et trouées reposant sur le sol m’inspirait du dégoût, fracturant en silence le mirage qui ornait le sommet de mon esprit (…)
Ainsi nous continuions à pratiquer ce à quoi nous étions habitués depuis le tout début.


Vient de toute part la désillusion, le détachement, la tristesse:


Nous étions un jour de fin de semaine, de ces jours où le poids du travail sur leur corps et sur leur visage se révélait le plus (…) Ma mère portant sur son visage, et juste sous les yeux, le poids d’une misère qui excède toute force (…. ) Ecoute…en fait, nous aussi on a un truc à t’annoncer. On va divorcer. (…) Et moi qui venait de leur annoncer conversion et mariage et qui m’étonnais -m’offusquais presque – de leur insuffisante réaction. C’est qu’ils avaient l’esprit ailleurs, la tête en leurs propres problèmes.


Les dernières lignes sont malgré tout pour l’amour et esquissent le rêve d’un bonheur encore espéré alors même que tout n’est déjà que poussière : « Ainsi je remettais nos chances douteuses de bonheur entre les mains d un dieu auquel je n’avais jamais cru et ne croirais jamais… ».


Merci Monsieur Biasiolo pour votre enseignement, dont la qualité et la rigueur ont permis à nos enfants de grandir et de s’élever un peu plus grâce à vous ; pour vos phrases dont on sort un peu plus riche et toujours nostalgique de cette part d’enfance auquel votre livre nous renvoie tous, d’une façon ou d’une autre, d’un amour à un autre.

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Quentin Biasiolo, L’Amour s’accorde à la nuit, Paris, L’Harmattan, 2024.


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