Sur le chemin de l’enfance perdue – Avignon 2019
ou Gelsomina.  Par Marie-Joséphine Susini

par Sophie Demichel Borghetti

Il est dangereux de s’approcher de la pureté. « Gelsomina » nous emporte sur ses traces, en cet instant où Marie-Joséphine Susini va chercher – en alchimiste de ce que peut un corps humain, quand il devient outil de métamorphose – ce qui se cache dans cette histoire, dans cette petite misère là.
On s’attendait au récit triste de la jeune fille bafouée, objet de cirque au destin tragique. Ce récit est là, oui, mais ce texte nous raconte tellement plus, nous touche tellement plus profondément, exposant à nos yeux, en cette heure de spectacle, cette simple évidence, dont la figure de Gelsomina incarne le paroxysme : l’amour simple et pur, en notre monde, est un diamant noir intouchable, impossible, sauf à risquer la mort.

L’incarnation de cette figure par Marie-Joséphien Susini est faite de métamorphoses, de multiples figurations de toutes les images, de toutes les situations de la femme, de la fille, jusqu’à celle qui n’est plus rien. Et cette mise en jeu devient le récit de la perte, de toutes les pertes, de la misère au-delà de la pauvreté, de la misère de n’avoir aucune place, d’être toujours dépossédé. Marie-Joséphine Susini respire cette âme pure privée d’existence par la violence du monde, sans plainte, en faisant simplement, extraordinairement, advenir devant nous une ultime quête, celle de ce qui reste lorsqu’il ne nous reste plus rien. Et elle nous intime de voir que cette quête est la nôtre.
Elle se fait passeuse, transmettant le possible de toutes les émotions. Elle se transforme en celle-là qui n’a plus d’âge, plus d’espace ni de temps ; mais juste la place d’un corps et d’une voix pour dire toutes les souffrances et les rédemptions.
L’errance dans laquelle nous emporte Gelsomina n’est pas celle de la route, ou pas seulement. Cette errance n’est pas seulement la sienne, celle de l’enfant perdue que nul ne veut aimer. Elle dit l’errance du monde, cette misère de l’errance qui croit trouver à se combler aux feux des lumières, mais en une croyance toujours déçue. Seuls auront raison les loups et les fous, même s’ils doivent en mourir.
Marie-Joséphine Susini est cette sorcière qui marche au bord du vide, qui traverse tous les âges, qui sait d’un geste, d’un regard, évoquer l’homme, la vieille femme, et redevenir cette enfant qui ne nous lâchera pas, cette enfant couturée de partout, mais à l’âme intacte, qui ne cherche que son nom absent et sa maison arrachée.
Gelsomina pleure sans larmes une enfance cachée sous les traces d’une vie qui ne veut pas d’elle, et qui donc ne veut pas de nous, sauf à se mentir sur les apparences de la puissance et croire aux mirages. Mais celle-là dont le sourire, malgré tout, résiste encore un peu, ne croit pas aux mensonges du monde : elle espère « exister seulement ; exister ce serait bien»… La violence que nous ressentons est la colère de de cette douceur perdue, que l’on cherche partout et qui est toujours pour les autres, pour soi, jamais.
Marie-Joséphine Susini ne « joue » pas à Gelsomina, elle laisse passer par tout son être ce qui fait Gelsomina, pour donner à voir la douleur et la perte de soi dans la lucidité tragique de l’instant pur de la scène. « Le Sublime est innommable » ! Oui, Monsieur Fellini, mais il est parfois visible, par miracles, par trouées. Là, sur cette scène, par la magie d’une comédienne qui ose se mettre émotionnellement à nu et en danger, il nous apparaît.
Sophie Demichel-Borghetti
Gelsomina
Texte : Pierrette Dupoyet
Mise en scène et interprétation : Marie-Joséphine Susini
Théâtre Carnot 10 h


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À propos de l’auteur

Docteure en philsophie
Comédienne
Ecrivaine

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