La peinture baroque en Corse ou l’expression artistique d’un espace méditerranéen aux temps modernes . Sammarcelli, 2018, 25 euros de
Frédérique Valery
Essai-Art

par Francis Beretti

La renaissance du baroque

La vocation de Frédérique Valery s’est éveillée à Nonza, son village,  dans la contemplation de chefs-d’œuvre de l’église Santa Ghjulia.
Dès ses plus tendres années, elle s’est trouvée fascinée par « La Vierge et l’enfant entourée de San Teramu (Saint Erasme) et de Santa Chjara ». Teramu étant le saint protecteur des marins et des pêcheurs. Et par « La Vierge à l’Enfant entourée de santa Ghjulia et de San Francescu intercédant des âmes du en faveur Purgatoire », réalisé par Giuseppe Badaracco. L’aspect le plus spectaculaire du tableau est la nature du supplice : les bourreaux arrachent les seins de Ghjiulia ; de ces seins tombés par terre, jaillissent deux sources aux vertus miraculeuses : elles guérissaient, dit-on, les femmes stériles. Une image-choc, confortée par la tradition orale, qui lui donne envie d’en savoir plus.

Dès lors commence une enquête de longue haleine à travers des archives. Frédérique décrypte patiemment de vieux grimoires inédits, enfouis dans les archives départementales de Haute-Corse et de Corse du Sud, les archives de Gênes, les registres paroissiaux, les cahiers de compte des confréries, les testaments, les legs pieux, et autres actes notariés  et s’appuie sur des études déjà publiées, pour dresser ses inventaires. Elle nous livre ici un  bilan d’étape, dans un ouvrage dont la probable réimpression mériterait d’être revue et corrigée, et sans doute augmentée, car Frédérique continue ses recherches.   Frédérique fait oeuvre didactique, en remontant à l’identification des divers saints représentés, et en les situant dans leur contexte historique, notamment les effets de la Contre-réforme et du Concile de Trente, l’influence des franciscains et des confréries, l’importance du « mécénat funéraire », la diffusion et la popularité du thème marial,  la fonction de protection des saints face aux terribles  fléaux des maladies et aux menaces des barbaresques, de l’espoir qu’ils nous donnent d’obtenir  le salut de nos âmes après la mort.

Le 3 janvier 1637,  Gênes décrète que la Vierge Marie est la patronne officielle de la République ligure, dont fait partie la Corse, naturellement. Le 30 janvier 1735, la sainte est officiellement choisie comme patronne de l’île, au cours de la Consulte de Corse. «  Au 19e siècle, on comptait près de cinquante pèlerinages locaux ». De nos jours, sur quatre cent trente-quatre paroisses, cent vingt-six sont dédiées à la Vierge. Au lendemain de la bataille de Lépante, commence à se diffuser en Corse l’image du « Maure bourreau », dont l’une des plus frappantes représentations est un tableau de Giacomo Grandi, dans lequel Ponce Pilate porte des habits de sultan ! Nous passons littéralement tous les jours devant des monuments sans  prêter attention aux trésors qu’ils recèlent. Prenons l’exemple de l’église dédiée à Saint Jean-Baptiste, emblématique de Bastia. C’est la plus vaste de Corse, mais pourquoi ? Frédérique corrige notre ignorance : construite à partir de 1636, elle exprime la volonté de « Terra Vechja », le quartier le plus ancien de Bastia,  de s’affirmer face la domination de Gênes, symbolisée ici par la cathédrale de Santa Maria. Chaque paragraphe de « La peinture baroque en Corse est riche de renseignements. La centaine d’illustrations nous permet de visualiser les descriptions.

Mais ce qu’il faut sans doute retenir, au bout du compte, c’est la thèse centrale de l’ouvrage. Frédérique, en effet, s’élève de façon convaincante contre les idées reçues, selon lesquelles  non seulement la qualité des œuvres en Corse serait d’ordre médiocre, mais aucun peintre de valeur n’aurait même vu le jour, ou travaillé en Corse. Or, écrit Frédérique
«  Actuellement on peut affirmer que dans le courant du XVIIe siècle, l’île comptabilise près d’une trentaine de peintres actifs. » L’influence de  Gênes n’est pas ostracisée par un parti-pris obtus. Ainsi, par exemple,  Ottavio Cambiaso, d’origine génoise, effectue l’essentiel de sa carrière à  Bastia, de 1620 à 1640. Nicolao Castiglioni, originaire de Bastia, crée un style personnel qui a peu à envier aux grands maîtres de la péninsule. Marc Antonio de Santis, d’origine napolitaine est actif en Corse de 1646 à 1681.
«On le tient pour le peintre le plus productif de l’école corse du XVIIe [siècle] » 

Michel Edouard Nigaglioni, orfèvre en la matière, situe clairement la place de Frédérique dans l’historiographie concernant l’art en Corse :
«  Frédérique Valery fait partie des héritiers spirituels de cette génération de précurseurs », à savoir, de Geneviève Moracchini-Mazel à Jean-Marc Olivesi. Ajoutons, entre autres, Nicolas Mattei. Jusqu’à eux, dans le domaine qui est en question ici, la Corse faisait vraiment partie des « îles oubliées ». L’une des raisons était que les documents de base sont écrits en italien, et que, par paresse, par opportunisme,  ou délibérément,  l’île a été longtemps coupée de ses racines culturelles.

Le domaine du baroque, qui est parfois « jubilant », ne manque pas de termes imagés. En ce qui concerne la sculpture, « les marbres font l’objet d’un commerce très actif en Méditerranée, auquel la Corse participe ». Le
« bleu de Ligurie », le marbre blanc de Carrare, le vert des Alpes, s’intègrent  parfaitement dans la fabrication des autels en Corse. On trouve des marbres corses, ceux du Bevincu, du Nebbiu, notamment, dans l’ornementation d’églises génoises, romaines, ou  toscanes.  Oletta fournit
« un rose fleur de pêcher » ; le « bleu gris » de Corte a servi à orner la cathédrale Santa Maria Assunta de Bastia. 

Dans le vocabulaire théologique,  « La Dormition » désigne la période de trois jours pendant lesquels la Mère du Christ est restée dans le tombeau, avant son Assomption. 

Nous pourrions donc dire, sans vouloir être iconoclaste, et  pour rester dans le ton, que les recherches sur le Baroque en Corse sont restées longtemps dans un état de « dormition ». Elles n’ont connu la résurrection qu’à partir des années 1970, et Frédérique Valery  contribue à ce petit miracle. 

                                                             


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