Pour Jean-Noël Pancrazi, les années manquantes sont celles de l’adolescence et du départ d’Algérie. Un récit sans concession sur la solitude des rapatriés.

Par : Marie-France Bereni Canazzi

Jean-Noël Pancrazi raconte dans ce récit à la première personne ce qui l’a construit, par touches, de façon fragmentaire. Son œuvre propose une rétrospective sans livrer au fil des publications un récit chronologique.  

Adulte, plus mûr, âgé de dix ans ou en fac, l’auteur suit un fil ou des fils, ceux qui le lisent souvent s’y retrouveront.

Les années manquantes, ce livre porte bien son titre ! Ce sont celles du retour en France ; on a laissé madame Arnoul, Le drame de La Montagne. Que s’est-il passé ensuite ? Où s’est effectué le retour en France ? L’écrivain comble les béances et se retrouve à 13 ans quand ses parents, qui ne veulent pas se résoudre à mettre une croix sur leur pays d’adoption, l’Algérie, tentent de s’y faire à nouveau accepter et le laissent pour un temps chez sa grand-mère maternelle, Joséphine, à Thuir. 

Inscrit au tableau d’honneur

Pour le protéger, lui dit-on ; il doit se résigner et apprendre à vivre avec un grand père malade et quelque peu tyrannique et une anxieuse presque grenouille de bénitier qui prie pour tous et tout à longueur de journée, dès qu’elle a un moment entre les diverses tâches au jardin ou à la cuisine. Ses mains abimées par l’eczéma sont toujours au travail. L’enfant connait peu ses grands-parents. Chez eux il ne manque de rien. Il a sa chambre, mange à sa faim . Ses parents n’ont posé qu’une condition : il doit être inscrit chaque année au tableau d’honneur. 

C’est toute une région et une époque qui nous sont restituées, celle des poupées Bella, des chocolateries et brasseries à ciel ouvert, celle des vieilles femmes sur leur chaises qui devisent en soirée.

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Le portrait de Joséphine nous la rend présente, chapelet à la main, blessée par la vie mais se débattant vaillamment. Elle a accompagné de son mieux le narrateur et tous ceux qui lui ont semblé vulnérables. Le drame des jumelles est touchant et ne peut laisser indifférent.

L’enfant qu’était le narrateur aurait préféré les rires de la Corse, il aurait aimé y retrouver ses tantes et cousins car la demeure de Thuir est bien austère. Heureusement les excès du pauvre oncle Noël, frère de sa mère, à l’estime de soi en berne, viennent le distraire certains jours et lui font entrevoir une forme de liberté, bien amarrée encore car le Lydia, lieu de plaisir sur l’eau, ne verra plus la mer…

La petite musique du souvenir

Du réalisme, un regard qui dit sans concession et ne vous en dit pas plus.

Des pages sur la Corse et partout l’amour de la plage et de la liberté. On suit l’enfant devenu adolescent, puis étudiant à Paris où on le retrouve sur les bancs du prestigieux Louis Le Grand, de moins en moins guindé, amené par des garçons aux personnalités remarquables à fréquenter une société très aisée qui juste avant le sida veut jouir sans entrave. 

Jean-Noël Pancrazi, mûr, retrouve aussi concrètement ceux qui, survivent de cette époque, professeur, camarades… retrouvés le temps d’une dédicace dans ce lieu de mémoire que le temps n’a pu enfouir.

 Ah cette petite musique du souvenir, si vous l’entendez, vous ne serez pas déçus !


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