Publié dans les années 2000, nous avons souhaité nous intéresser au recueil de nouvelles méconnues de Jean-Joseph Franchi, Isulitudine, aux éditions La Marge. 

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Outre l’honneur de lire ces contes et ces chroniques de Jean-Joseph Franchi, se trouve une philosophie importante toute contenue sous ce mot-valise d’isulitudine: de petits mondes, de monades, d’ilots qui renvoient tout autant au village, aux hommes y vivant ou y revenant qu’aux insectes et autres escargots qui viennent donner vie, qui nourrir cette beauté d’ennui qui qualifie, me semble-t-il, la Corse. Que ce soit des récits de village comme Rimbeccu posant la question de la vengeance, effrayant le lecteur par des figures comme celle du Prete Turmentu dont le lien avec le manichéisme, ou le carnaval, le rapproche du personnage de l’Infernu dans Orphelins de Dieu, tout cela dans un climat terrifiant, renvoyant les lecteurs du Riacquistu à leur propre sentiment d’angoisse, leur propre peur de la perte à l’idée de voir ce village soumis au désoeuvrement et au mal. La question essentielle posée par Franchi dans son texte reste la même: « est-il possible de fuir les combats sans être lâche? » (P.38) C’est cette question qui traduit, à mon sens, une rupture avec la tradition, plus précisément avec l’image prototypique de la vendetta et de l’honneur dû aux morts, une image déjà fortement ébranlée par la déception de l’esprit, par la déception des lieux, de la religion et des « Mots (qui) sont également trompeurs » (P.46), une Corse, en perte, dans laquelle finalement Monsieur Dupont ne peut qu’incarner « Le dernier des Povmèques » (P.48), soit si l’on perçoit la dimension du comique de mot une homophonie avec pauvres mecs, le royaume des désoeuvrés, des hommes perdus.

Ces textes de Jean-Joseph Franchi, publiés pour la plupart dans la revue Rigiru, témoignent dans une large part des thèmes propres au Riacquistu du fait des formes populaires utilisées, comme le conte et de la langue corse, mais aussi de la tonalité comique, souvent sarcastique, souvent cruelle, invitant le lecteur de tous bords à revisiter cette culture paysanne façonnée par la religion, par les questions sur la vengeance, le culte des morts, le rapport aux bêtes etc. C’est aussi une inquiétude qui ne cesse de prendre corps dans l’ouvrage, celle d’un peuple qu’il faut faire vivre, ou plutôt qu’il faut faire revivre, et qu’un texte comme « L’Eternu ritornu », sous sa dimension dialogique, déployant les propos des locuteurs participant au Riacquistu, sous une tonalité ironique,  témoigne d’une inquiétude derrière le discours militant; car après cent ans, comme le dirait Jean-Yves Acquaviva, l’histoire répète les mêmes erreurs, et un autre pays devra être construit, un autre peuple auquel il faudra donner vie annonce peut-être déjà, en 1970, le la course tragique d’une solitude et d’une défaite éternellement nôtre.

Informations utiles

Jean-Joseph Franchi, Isulitudine, Ajaccio, La Marge, 2000, 20 euros. (Disponible uniquement auprès de l’auteur, Jean-Joseph Franchi)


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