En revenant sur le roman de David Foenkinos Le Mystère Henri Pick (Gallimard, 2016), Odile de Petriconi souhaitait nous inviter à prendre connaissance des oeuvres par nous-mêmes. 

– Aujourd’hui je lis Le mystère Henri Pick de David Foenkinos, et je trouve cet extrait qui me ravit et me fait rire… Je l’offre aux messieurs qui croient trop souvent que tout ce qu’ils lisent est parole d’Evangile : (la naïveté des hommes…)

« Pour faire plaisir à des amies, elle avait tout de même accepté quelques rendez-vous arrangés. Chaque fois, cela avait été sinistre. Il y avait eu cet homme qui, en la raccompagnant en voiture, avait mis sa main entre ses cuisses cherchant maladroitement son clitoris avant même de l’embrasser. Surprise par cette attaque pour le moins abrupte, elle l’avait brusquement repoussé. Pas découragé, il lui avait alors soufflé des mots crus pour ne pas dire dégueulasses au creux de l’oreille, pensant l’exciter. Joséphine était partie dans un fou rire. Ce n’était pas le chemin prévu, mais quel bonheur : il y avait si longtemps qu’elle n’avait pas ri comme ça. Elle était descendue de la voiture en continuant de rire. L’homme s’en était sûrement voulu d’avoir précipité un peu les choses, regrettait de lui avoir proposé de la menotter dès le premier soir, mais il avait lu que les femmes adoraient ça. » (Le Mystère Henri Pick – David Foenkinos)

Seules des femmes ont apprécié cette citation (par solidarité féminine ou ayant déjà été victimes de tels assauts!) Un seul homme est sorti du silence pour écrire :

– « vbouh ! c’est un bon bouquin de tête de gondole à carrouf ! »

Je n’allais pas laisser passer cette réflexion, j’ai donc répondu :

– « Oui il est peut-être en tête de gondole à carrouf et ailleurs… et après? Il n’est pas le seul! David Foenkinos est aussi distribué en librairie, et celui-ci, je l’ai emprunté à la bibliothèque municipale. Je n’avais à ce jour jamais lu Foenkinos, et si j’ai choisi ce titre c’est parce que le thème m’intéressait. C’est un roman qui parle des livres, des écrivains, des éditeurs, d’une bibliothèque où il y a un rayonnage destiné à accueillir tous les livres refusés par les éditeurs, pour rendre hommage à Richard Brautigan. David Foenkinos, donne tout au long de ce roman des références à des auteurs (pas négligeables d’ailleurs, il cite Proust) et à des livres… Ce passage, je l’ai choisi parce qu’il m’a fait sourire, mais il est marginal par rapport au livre. Et quand bien même, il ne le serait pas… J’estime que la lecture ne doit pas être exclusivement élitiste, j’emploie à dessein lecture et non pas littérature. Lire doit rester un plaisir, et on ne doit pas se mortifier en se plongeant uniquement dans des ouvrages qui tombent des mains. On peut aussi alterner les plaisirs en passant des plus grands des auteurs classiques, et des chefs-d’oeuvre de la littérature, à des livres plus faciles, plus contemporains… Enfin, c’est ma conception. C’est ainsi que je fonctionne depuis plusieurs décennies. »

Devrait-on s’interdire certaines lectures parce que les livres sont trop populaires? Ou au contraire, les plus grands auteurs ne devraient-ils être accessibles qu’aux plus fins lettrés, titulaires de licences ou doctorats de littérature classique ou moderne, ne laissant aux amateurs de lecture (non diplômés), que les bd, romans de gare ou policier, romans à l’eau de rose publiés en feuilletons dans les magazines de romans-photos, ou la rubrique des chiens écrasés du plus obscur quotidien régional? Il me semble qu’il y a bien des façons d’aborder les livres, que l’on soit érudit ou non. Le résultat ne doit-il pas être la découverte, le plaisir, l’amour des mots et de l’objet livre? Il n’existe pas un lecteur type, mais une multitude de lecteurs. Ceux qui n’achètent que les Prix Littéraires, ceux qui ne lisent que les Classiques, ceux qui voyagent portés par les mots, ceux qui cherchent à se cultiver, ceux qui lisent comme ils respirent, ceux qui papillonnent… infidèles aux thèmes, aux auteurs, aux époques… Mais l’important n’est-il pas le bonheur que l’on ressent perdu dans un texte? A une époque où l’on se plaint parce que le niveau scolaire des enfants n’a jamais été aussi bas (des statistiques catastrophiques ont été publiées, il y a moins d’une semaine), j’estime que personne ne doit faire la fine bouche. Tout contact avec le livre, et par delà avec une forme de culture, est une bénédiction.

L’élitisme me semble justement barrer la route à la curiosité. Beaucoup de personnes n’osent pas franchir la porte d’une bibliothèque, pensant qu’ils n’y seront pas à leur place, qu’ils seront jugés, snobés par les intellectuels… Pensant injustement qu’ils ne se verront proposer que des livres qui les ont fait souffrir lorsqu’ils étaient sur les bancs de l’école, où qu’on ne leur conseillera que des textes savants ou abscons.

Les livres accessibles uniquement aux lettrés… quelle catastrophe! Le droit de vote est-il réservé aux seuls diplômés de Sciences Po ou de l’ENA? La bonne cuisine n’est-elle l’apanage que des chefs étoilés?… Une personne pratiquant la danse classique est-elle rétrogradée si un jour il lui prend l’envie de s’exercer au tango? Celui qui apprécie plus que tout Gustav Malher, ne peut-il pas non plus aimer les polyphonies corses ou le fado? Un amateur d’art est-il davantage éclairé s’il préfère Rembrandt à un plasticien contemporain, ou vice versa?

Voilà, voulant surtout parler d’un roman, et le défendre, je me suis égarée… Quoi qu’il en soit, je n’ai pas boudé mon plaisir. L’écriture est fluide, l’histoire bien menée La fin s’avère être un rebondissement inattendu. La question de savoir s’il s’agit de littérature ou de lecture ne me taraude même pas. J’ai lu. J’ai aimé, même si ce livre n’est pas un coup de coeur. Il me semble qu’il s’agit là d’un livre honnête, et c’est à souligner et à saluer, à une époque où beaucoup de textes sont bâclés.

Je n’avais donc jamais encore lu David Foenkinos, même si La délicatesse m’attend sagement depuis longtemps déjà perdue au milieu d’une PAL de plus en plus impressionnante. Ce Mystère Henri Pick, j’ai eu très envie de le découvrir à cause du thème qui peut parler à tout amoureux des livres : un bibliothécaire qui recueille tous les livres refusés par les éditeurs… Par curiosité, par sympathie aussi peut-être, je lis souvent des ouvrages qui sont peu lus, très rarement empruntés à la bibliothèque… je veux me faire ma propre opinion lisant très souvent à contre courant… En déposant sur le net cette citation tirée du Mystère Henri Pick, j’ai eu droit à cette réflexion remplie de mépris de la part d’un internaute . Peut-être que ce roman n’est pas de la grande littérature… mais je n’aime pas justement cette ségrégation qui opère un clivage entre intellectuels lisant exclusivement de la littérature et de grands écrivains et les autres acceptant le tout-venant! Afin que l’intérêt pour les livres et les écrivains subsiste, je crois que le lecteur doit avant tout se faire plaisir, et ne rien se refuser, passant ainsi de Camus à Cervantès, en allant frayer du côté De Maupassant, Cohen, Khadra, Zweig, Barjavel, Soljenistine, Makine, Primo LeviAnouilh, MolièreDiderot, Sand, Chateaubriand… etc… en s’accordant quelques récréations avec pourquoi pas des romans policiers, des comédies, des livres légers et plus faciles d’accès… le lecteur ne doit pas se flageller en s’efforçant d’ingurgiter uniquement des livres difficiles, voire indigestes, qui tombent des mains!… Donc, je revendique haut et fort ma découverte de ce roman. Le mystère Henri Pick est un livre que j’ai trouvé plaisant à parcourir. de plus, et ceci n’est pas négligeable, David Foenkinos y rend hommage à de grands auteurs, tels que Proust ou encore Pouchkine et son Eugène Onéguine, titillant ainsi la curiosité des lecteurs et offrant des possibilités de découvertes littéraires.Il me donne aussi très envie de découvrir Richard Brautigan, instigateur aux Etats-Unis de cette bibliothèque des livres refusés.


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