Patrice Franceschi, romancier aviateur et marin a obtenu en 2015 le prix Goncourt de la nouvelle. En 2022, il publie son Dictionnaire amoureux de la Corse, où il nous fait découvrir l’âme corse, ses personnages, sa poésie. Une approche sentimentale et un véritable voyage aux odeurs de maquis.
Par : Jean-Pierre Castellani, professeur agrégé, écrivain
Enfin ! On l’attendait depuis longtemps ce Dictionnaire amoureux de la Corse, dans la fameuse collection des Dictionnaires amoureux ; créée en 2000 par Jean-Claude Simoên pour les éditions Plon. Outre les pays étrangers, les célébrités mondiales ou des concepts comme l’humour ; la collection avait présenté des ouvrages consacrés à la France. Le Nord, la Provence, la Bourgogne, l’Alsace, la Bretagne, la Loire, les îles, la Méditerranée ; voire à des villes comme Marseille ou Bordeaux. Mais rien sur la Corse. Cette lacune est comblée en 2022.
Le choix de Patrice Franceschi, comme auteur de ce volume tant retardé, peut sembler a priori déroutant. Le résultat l’est à plus d’un titre. En effet, Patrice Franceschi est plus connu comme étant un mélange singulier de marin, d’aviateur, de baroudeur audacieux ; ou de défenseur des causes perdues que comme un spécialiste de la Corse. Il est renommé pour avoir remonté le Nil de sa source à la mer. Ou d’avoir fait le tour du monde avec son bateau La Boudeuse. Il a organisé de nombreuses missions humanitaires ; de la Somalie au Kurdistan, dans les zones en guerre comme la Bosnie-Herzégovine et en Afrique. Il s’est engagé auprès de la résistance afghane aux soviétiques ou kurde face aux islamistes.
Son village de Pancheraccia
Certes, il a de solides racines familiales en Corse. Mais sa vie s’est déroulée essentiellement en Afrique d’abord, en suivant les affectations d’un père militaire ; et ensuite ses propres engagements dans le monde entier. Il n’a connu la Corse qu’à travers des vacances d’été dans son village de Pancheraccia ; comme tout membre de la Diaspora. Il ne s’est jamais engagé dans le riacquistuinsulaire ; réservant ses forces de révolte pour d’autres terrains, extérieurs à son île.
Pourtant, en définitive ; ce qui pourrait être un handicap se révèle être, à la lecture de son texte ; la source d’un traitement habituel dans ce genre d’ouvrage. En effet, depuis le début, le protocole de l’éditeur suggère et impose même une approche subjective de l’objet traité. C’est ainsi qu’ont signé des visions très personnelles des auteurs comme Philippe Sollers (Venise). Ou Dominique Fernández (Italie), Robert Solé (Egypte) ou encore Jean-Claude Carrière (l’Inde). Autrement dit, l’idée est que la qualité littéraire doit l’emporter sur l’apport informatif, le discours interprétatif sur l’encyclopédique.
Patrice Franceschi l’a bien compris. Il affirme, dès son avant-propos, qu’un dictionnaire amoureux n’est pas un dictionnaire et encore moins une encyclopédie. Qu’il n’a aucune ambition d’exhaustivité mais désire présenter
« une promenade amoureuse ; un regard original et personnel sur des choses déjà connues.»
Le fait qu’il il ait reçu en 2015 le prix Goncourt de la nouvelle pour son livre Première personne du singulier démontre qu’il en est capable. La publication et le succès, en 2019, des Dernières nouvelles du futur : quatorze fables sur le monde à venir le confirment. À côté du baroudeur toujours présent ; on voit apparaître de plus en plus, un authentique écrivain, à l’aise dans le genre court de la nouvelle. La technique d’articles relativement brefs, classés par ordre alphabétique, sans structure linéaire narrative d’ensemble lui convient parfaitement.
Un voyageur atypique
C’est pourquoi il élimine d’emblée les entrées sur la politique, l’économie et le commerce. Ce qui peut irriter certains. Mais il privilégie tout ce qui concerne les faits historiques du passé, la Nature, quelques personnages connus, des lieux précis, l’espace de la Corse. Nourri par des lectures enrichissantes ; celles des modèles des écrivains-aventuriers. Comme Romain Gary, Joseph Kessel, Joseph Conrad, Henri de Monfreid, André Malraux, Antoine de Saint-Exupéry, aujourd’hui Sylvain Tesson. Il ne se considère pas comme un touriste mais comme un voyageur atypique, hors-piste. Il ne s’adresse pas aux touristes mais aux voyageurs curieux et sensibles.
On trouve, bien entendu, dans son Dictionnaire des entrées incontournables sur Napoléon, Pasquale Paoli, Sampiero Corso, Theodore de Neuhoff, Christophe Colomb, Colomba ou Tino Rossi, ou sur le mystère du drapeau corse et sa tête de maure, le chant traditionnel du Dio Vi Salve Regina ou les bandits d’honneur. Mais, à chaque fois, Franceschi aborde ces figures célèbres avec humilité, comme des figures imposées. Sans souci d’originalité. Comme en s’excusant de les traiter. Il en est de même pour les villes principales de l’île : Ajaccio, Bastia, Bonifacio, Calvi.
Un abécédaire personnel
En revanche, ses meilleures entrées ; qui sont nombreuses, concernent des sujets originaux, essentiels pour qui veut comprendre la Corse. Comme le « Maquis », les « Mûres », les « Ronces », les « Golfes », les « Montagnes », les « Ponts », les « Vents », les « Forêts », les « Villages ». Dans ces cas, il puise dans ses souvenirs d’enfance ; lui qui naît en 1954, une enfance vécue donc au cours d’étés au village dans les années 60/70.
À ce titre, l’importance de la famille prend tout son sens : le père, la mère, les grands- parents paternels et maternels, certaines figures du village fournissent la matière à des entrées passionnantes. Tous les lecteurs corses se retrouveront dans ces évocations, qui correspondent à cette génération. Les autres, ceux du continent ou étrangers, découvriront une Corse authentique, loin des stéréotypes habituels.
L’entrée sur les « Ânes » est très significative de la technique de Patrice Franceschi qui retourne systématiquement à ses souvenirs d’enfance dans son village avec des images précises, ou à l’aide de photographies. Mais, assez vite, il se réfère à des expériences d’expéditions lointaines, comme ici une descente du Nil, 600 kms à pied, dans des territoires désertiques en compagnie d’un guide et de ses ânes. L’entrée devient alors un récit personnel. Une véritable nouvelle de plusieurs pages qui atteste et confirme un goût certain pour l’écriture. On n’est plus dans un dictionnaire mais dans un discours littéraire.
Ainsi, à partir de l’évocation du torrent de son village, ce Corsiglièse, il nous propose une longue nouvelle qui raconte une aventure personnelle dans l’exploration des abords de ce torrent, la découverte d’une ruine d’une maison de pierre dans le maquis, qui le ramène au pays des Papous qu’il a connus plus tard. À ce moment, on passe insensiblement du dictionnaire à l’autobiographie.
Cette technique personnelle se multiplie tout au long de l’ouvrage et fonde sa singularité : ainsi, à propos des vents énigmatiques de Bonifacio, il se réfère au « Chant du loup » avec des expériences similaires vécues dans les vastes forêts au sud de l’Australie.
Au sujet de Gracieuse, une buraliste, à l’entrée de Bastia ; il dit qu’elle tient dans son imaginaire intérieur une grande place et qu’elle lui rappelle une autre patronne de bar en Guyane française, à l’autre bout du monde.
Quand il évoque la charcuterie corse, il pense à la famine qu’il a trouvée dans les marécages du Nord-Congo ou en Afghanistan pendant la guerre. Pour évoquer la chasse, il se souvient d’autres chasses dans les jungles du Congo, chez les Pygmées Babinga.
La diaspora corse
En traitant des golfes corses, Patrice Franceschi revient sur des expériences au Cambodge et évoque la reconstruction de la jonque chinoise La boudeuse et partage le récit de ses aventures avec ce bateau autour du monde. Il cite même la totalité de la chanson populaire qui a donné son nom au bateau avec lequel il fera le tour du monde.
La sensation de clans, très présente en Corse, il la retrouve chez les Indiens d’Amazonie ou les Papous de Nouvelle-Guinée. À partir de la Corse, on fait le tour du monde avec lui !
À lire aussi : Corses de la diaspora , ed.Scudo 2018. Questions à JP Castellani
L’entrée consacrée à la « Diaspora » est, en fait, la reconstitution d’un dialogue sur un cargo avec un responsable de Casino, un corse qui lui raconte une histoire de jeux. Il rapproche cette attitude de ce monde de la diaspora corse de celle des Afghans, des kurdes des arméniens ou des cambodgiens.
L’entrée le tourisme lui permet d’aborder des problèmes plus contemporains, les relations entre le village et la côte, les constructions de l’immobilier sauvage, la loi du littoral, la pression touristico-financière. Et de souligner, une fois encore, la différence existentielle entre voyageurs et touristes.
On pourrait citer aussi d’excellentes entrées sur la langue corse, les grands poètes ou écrivains originaires de l’île, les librairies, les prénoms, les proverbes, la Micheline qui traverse la Corse du Nord au Sud. C’est une idée bienvenue et émouvante de citer la totalité des hommes de son village fauchés par les grandes guerres. À ce sujet, l’article consacré aux 359 villages en Corse, et en particulier le sien, Pancherachia ; auquel il est lié par un attachement viscéral, comme tous les corses avec le leur, donne la clé de la compréhension de ce qu’est la Corse pour un observateur extérieur.
Au milieu de toutes ces réussites, signalons quelques faiblesses curieuses, à nos yeux : l’étude des clichés, les blagues sur la prétendue paresse des corses, le personnage de Grossu Minutu. La réflexion sur la violence à partir d’une anecdote personnelle de bagarre de rue est superficielle. Et incongrues et assez peu convaincantes les entrées intitulées « Une fois sur deux » sur l’opinion des étrangers sur la Corse. Et sans intérêt les « Vœux de Nouvel An » qui sont donnés en fin de volume sous forme d’abécédaire corse pour les temps à venir.
Au contraire, il y avait place à une entrée sur l’université Pascal Paoli, à Corte, qui méritait bien de figurer dans ce Dictionnaire, en dehors de tout engagement politique.
Signalons aussi une erreur factuelle : dans la liste très documentée des grands noms de la chanson corse, le chanteur Antoine Ciosi, donné pour décédé (p.104), est encore vivant au moment où nous écrivons cette recension.
Enfin, comme toujours depuis sa création, ce Dictionnaire est illustré par des dessins très justes d’Alain Bouldouyre, ce qui prouve la capacité de ce dessinateur à s’adapter à tous les sujets. Dans le cas de la Corse, c’est une grande qualité car notre île est souvent illustrée de façon caricaturale.
Patrice Franceschi nous offre donc, dans ce Dictionnaire, un regard lucide, sincère et tendre sur la Corse, comme doit l’être tout regard amoureux.
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J’ai acheté ce livre lors d’une lecture organisée par Musanostra et après avoir lu cette critique.
J’avais de plus apprécié un récit de marin de Patrice Franceschi…
L’auteur a un nom Corse, a passé des vacances en Corse, il explique 10 fois qu’il n’est pas spécialiste des sujets qu’il a choisi !
La plupart des entrées sont un motif pour nous raconter ses expériences loin de la Corse.
C’est donc un récit superficiel, sans passion, et contrairement à ce qui est écrit pleins des lieux communs de cette diaspora.
Ma déception aurait été moindre si cette ouvrage avait eu un autre titre; car je n’ai pas trouvé trace d’amour dans ces 500 pages.
bonjour M Costa ; vous avez lu la chronique de m Castellani , grand amoureux de la Corse
on voit comme les ressentis sont différents . Je ne sais que vous dire si ce n’est que pour chaque livre, comme pour chaque voiture, film ou modèle de vêtements, les avis divergent
merci de votre commentaire, vous n’êtes pas le seul à écrire en ce sens et beaucoup d’autres ont aimé le livre : que dire?
Passez une belle journée, et merci de nous suivre
n’hésitez pas à proposer des chroniques , nous en serions ravis