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« Nous sommes de la même étoffe que les songes, et notre vie infime est cernée de brouillard… »
Prospero, dans La Tempête de W. Shakespeare – 1610/1611
“Come Di, come Di…
La comédie d’un jour
La comédie d’ta vie…”
Paolo Conte, Come Di – 2005

Une tempête en Méditerranée, une coquille de noix qui va sombrer… A bord, on devine un groupe de personnes assez hétérogène, on entraperçoit des individus enchaînés, une femme…des coups de feu, puis c’est le naufrage.
Au matin, la mer calmée recueille les corps échoués…qui reprennent vie, ainsi qu’une belle allure (les vêtements sont secs, les cheveux impeccables !) et chacun retrouve avec joie et soulagement « sa famille ».
En fait, on le comprend très vite, le bateau emmenait des prisonniers – quatre mafieux – sur l’île de l’Asinara où se trouve une prison de haute sécurité. Parmi les naufragés il y a une troupe de théâtre, le directeur Oreste Campese, sa femme et sa fille – les comédiennes – et l’homme « à tout faire », tous embarqués à la dernière minute.
La rencontre entre les deux « familles », assez peu conviviale, il faut bien le dire, fera l’objet d’un marché : les mafieux (ils étaient quatre mais ne sont plus que trois, le fils du parrain a disparu), afin de ne pas se faire emprisonner, demandent au directeur de la troupe de les faire passer pour des comédiens.
Personne ne peut y croire !
Sûrement pas De Caro, le directeur du pénitencier – on ne la lui fait pas – qui veut débusquer les imposteurs. Il demande à Oreste de monter, en cinq jours, une représentation de « La Tempête » de William Shakespeare ! On verra bien qui est acteur et qui ne l’est pas !
L’île de l’Asinara, théâtre somptueux de cette tragi-comédie, est très certainement un des « personnages » les plus importants du film. Cette île du nord-ouest de la Sardaigne, restée sauvage à cause du pénitencier qui l’a isolée du reste du monde, où le temps se dilue dans le souffle du vent dans les branches, dans la mer si bleue, si pure…
Rien ne vient perturber cette vie paisible, d’un autre temps (la seule touche de “modernité” est apportée par Miranda, la fille de De Caro), même les forçats qui piochent toute la journée en plein soleil ne semblent pas malheureux!
En cinq jours, tout va se jouer: une pièce de theâtre, La Tempesta, réécrite en napolitain; mais aussi le sort de tous ces personnages ancrés dans la réalité dont la destinée va très vite se confondre avec celle des héros du récit.
Le réalisateur, dans l’écriture du scénario, puis par un savant montage oú les portes, parfois réelles, parfois virtuelles, se ferment sur un monde pour s’ouvrir sur un autre, se joue de notre perception. Saurait-on distinguer le vrai du faux? Tout n’est peut être qu’illusion, au fond: Le monde entier est un théâtre. Et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles », disait Shakespeare. Cette assertion n’a jamais parue aussi vraie que dans ce film!

Librement adapté de « La Tempête » de Shakespeare et de « l’Art de la Comédie » d’Eduardo De Filippo, le film est une parenthèse hors du temps, un vibrant hommage à ces deux grands hommes.
C’est un hommage au théâtre et à sa capacité à transformer la réalité, à la réinventer.
C’est un hommage à la vie, à l’humain dans toutes ses composantes, au travers de figures paternelles telles que De Caro, Oreste et le Parrain, sans oublier le berger Antioco, figure archaïque, au langage incomprehensible, authentique habitant et “gardien” de son île.
C’est un hommage à l’amour, plus fort que tout.
C’est un hommage à un territoire, cette île, terre d’exil, d’enfermement pour les uns, terre de vie, salvatrice pour les autres, sublime par la beauté de ses rivages, les couleurs et les parfums de sa végétation, la légèreté de son air, la douceur de ses paysages.

Le travail de l’image, le soin apporté à chacun des plans, le parti-pris artisanal, le choix et le jeu des acteurs sont autant d’ingrédients qui montrent une certaine manière de faire du cinéma, plus artistique, plus poétique, loin des productions sterotypées qui envahissent nos écrans.
Un moment de grâce!
Pour nous, jury du 30ème festival du film italien, ce fut une évidence : “La stoffa” était, dans la sélection “Le film italien” que nous attendions, une fable lumineuse, ancrée dans la culture de son pays.
C’était celui dont on entendrait la langue, mélodieuse, parfois incompréhensible, souvent si proche de la notre.
Miroir du temps, celui d’avant comme celui de maintenant, il nous a emportés entre ciel et mer, cette mer méditerranée que nous aimons tant, il a réchauffé nos coeurs au plus froid de l’hiver.

Anne Marie Amoretti, février 2018

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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