par L. Stolfi

Ce roman se passe encore en Amérique , dans les couches très populaires d’une population déstabilisée et marginalisée. Ce sont presque des sous populations et des sous citoyens dans leur pays, coupés de la culture et des richesses, arrimés à une petite exploitation de logements précaires qui ne leur fournit même pas de quoi relever la tête. Dans cet univers lugubre, la vie continue et se développe : une mère , au tout début du livre, fait un grand feu de joie, exultant, toute à ses pensées , fière et pleine de ressentiment apparent. Déjà le lecteur comprend que le récit de ce qui s’est passé doit être lourd, difficile à assumer et à entendre.

La mère est jeune encore, mais usée ; lorsque son mari lui demande en rentrant les raisons de ce feu, s’inquiétant de savoir si elle est “chargée” , si elle maitrisera bien ce feu là (il y en a eu d’autres, sans doute destructeurs) et de sa volonté de brûler des vêtements encore un bon état, ceux du fils ainé, on sait que le bon sens de la mère a vacillé, qu’elle a commis un acte terrible. Reste à savoir…

Les questions du père sonnent comme un verdict de culpabilité, même s’il essaie de se mettre à la place de sa femme et de temporiser. Un beau personnage, celui du père.

En fait elle a chassé son aîné, fils difficile à ses yeux car demandant plus d’attention , maladif depuis sa naissance et poussant de travers pour elle et pour tous, car peu docile et en plus, aimant les hommes. Face à son homosexualité la mère ne sait proposer qu’une médicalisation, cherchant à effacer la tache qui l’humilie face à ses belles soeurs et à la mini société de losers qui l’entoure.

Et le fils, qui a refusé les cachets et la destruction par la honte a été chassé en pleine nuit de février et erre, vivant, mort, avec peu d’argent, souffrant doublement du rejet de sa famille comme des difficultés matérielles. De lui , de son devenir, on n’a plus de nouvelles et Gilles Leroy nous laisse imaginer le meilleur ou le pire…

Ce roman m’a touchée parce qu’il contient un parti pris, il donne une autre vision du drame si commun du rejet ; il livre à nouveau un regard de femme sur sa vie . Elle a trois garçons et un mari aimant, mais sait le désastre autour d’elle et en elle.

Le personnage féminin choque et fait pitié à la fois et si ce n’est pas le roman que j’ai préféré de cet auteur (lisez ou relisez Zola Jackson ou Alabama song), il m’a marquée.

En fait c’est l’histoire d’une femme qui ruinée par la vie, trouve le moyen de ruiner, sans rien pouvoir y changer, ce qui lui restait de beau. Toujours l’écriture de Gilles Leroy, sa compréhension des fêlures, son goût pour les détails humains. Et sa satire stylée de la bien pensance et de l’impact de la rumeur et même de la religion sur les plus malheureux, les nantis s’en préoccupant bien moins.

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