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Publié aux éditions du CNRS, cet ouvrage dirigé par Jean-André Cancellieri et Marie-Antoinette Maupertuis revient sur l’urbanisation de la Balagne depuis le XIe siècle jusqu’à nos jours. C’est un ouvrage de référence aussi bien pour les universitaires que pour tous les amoureux de la Corse.

L’originalité de ce livre est de nourrir la dimension géographique par la dimension temporelle. Au lieu de se concentrer uniquement sur un aspect contemporain de l’urbanisation, le travail mené par le groupe de chercheurs de Jean-André Cancellieri et Marie-Antoinette Maupertuis a préféré s’intéresser à un phénomène de longue durée, analysant de manière plus précise les rapports entre ville et campagne, littoral et terre de l’intérieur. De la naissance de Calvi au XIIe siècle à celle de l’Île-Rousse au XVIIIe en passant par les transformations de l’espace rural que la littoralisation a entraînées, il me semble passionnant de voir comment le « Jardin de la Corse », tel que le nomme Pietro Morati au XVIIIe siècle pour insister sur sa dimension agro-pastorale, est devenu au cours des siècles la région d’accueil d’un tourisme mondialisé. Dans cette brève présentation, qui n’abordera pas tous les points de ce livre, je souhaiterais tout de même porter mon attention sur trois axes qui semblent traverser l’ensemble de l’ouvrage. Dans un premier temps, la nécessité d’affirmer l’existence d’un « système », c’est-à-dire d’une région considérée par les acteurs eux-mêmes comme telle. Ensuite, l’urbanisation de cette région en s’intéressant aux rôles des différentes villes du littoral. Enfin, l’éclosion du tourisme de masse et du tourisme patrimonial, né du Riacquistu, et qui est devenu un moyen de lutter contre une forme agressive de venue.

À propos de la naissance d’un système rural: La Balagne

L’émergence de ce système débute par la prise en compte d’une Balagne rurale, répartie entre diocèses, entités religieuses et civiles qui servent d’administration, et de pieve, lieux primitifs ayant des charges principalement baptismales (P.25-27). À cette époque, le marché local s’organise principalement dans l’intérieur des terres et l’exploitation agricole est déjà très importante. Elle est composée de vignes et d’arbres fruitiers (P.30). Tout indique dans ce passage que la construction d’un système balanais est le fruit d’une société agricole déjà structurée au Moyen-âge et dont la principale caractéristique organisationnelle réside dans une économie autarcique, une économie de l’intérieur des terres que la naissance des villes de Calvi et d’Algajola transformera (P.36).

L’urbanisation de l’espace

Trois villes jouent un rôle considérable dans l’émergence de l’urbanisation régionale: Calvi, Algajola et l’Île-Rousse.

Calvi naît de la volonté de certains administrateurs locaux de se protéger des assauts d’autres acteurs insulaires. Gênes voit dans ce protectorat accordé le moyen de générer un port d’acheminement des ressources balanines en Méditerranée et les exploitants locaux une façon de générer un profit conséquent (P.37-38). Ces échanges marquent la fin des rapports autarciques et le début des liaisons entre la ville et la campagne.

La naissance d’Algajola est plus tardive. Elle résulte de la volonté de Lomellini, un exploitant de la région, d’édifier un fief, ce fief sera utilisé par Gênes pour étendre son influence dans la région et commercer plus facilement avec les terres de l’intérieur (P.45). Toutefois, même si le lieu devient la capitale de la Balagne sous le contrôle de Gênes, la ville ne parvient pas à évincer le pouvoir de Calvi. Cette dernière finit par s’imposer grâce à son contrôle du littoral, un contrôle qui est total du fait de sa marine (P.48-49) et de la naissance du prêt usuraire qui permettra à la citadelle génoise de contrôler l’ensemble des villages de sa périphérie (P.52-53).

Au XVIIIe siècle, la naissance de l’Île-Rousse s’inscrit dans le projet de Pascal Paoli d’éviter le contrôle commercial et militaire de Gênes tout en permettant aux agriculteurs d’exporter leurs marchandises. La ville est peuplée grâce aux villageois de tous horizons qui décident de s’y installer et, rapidement, dès le XIXe siècle, la ville tente de rogner à Calvi ses fonctions administratives  (chef lieu cantonal) et portuaires (bureau principal des douanes). Si elle parvient à battre Calvi au niveau portuaire, chose encore visible aujourd’hui puisque l’Île-Rousse, en raison de la menace terroriste, est devenue le seul port de la région, elle ne parvient pas à la dépasser dans ses fonctions administratives. En effet, avec la création de la prison, du collège, de la sous-préfecture, Calvi conserve ses positions administratives. La réussite de la ville paoline réside dans sa capacité à concurrencer efficacement Calvi et à participer à l’éclosion d’une économie agricole nouvelle autour notamment du cédrat.

Si la naissance de Calvi permettait aux habitants de commercer et de gagner plus de richesses, la naissance d’Île-Rousse entraîne des évolutions plus ou moins notables au niveau des villages alentours (restructuration du bas de la plaine Monticello-Santa Reparata, développement des cultures de cédrat à Monticello, p.91; accélération des acquisitions au niveau foncier par les grands propriétaires et par les contribuables venus d’ailleurs, p.92; rôle déterminant avec Calvi dans l’innovation agricole, p.96).

Tourisme de masse et tourisme patrimonial

Pour les auteurs, il existe « deux chocs touristiques », l’un se déroule dans les années 60 et le second dans les années 2000.

Après deux guerres mondiales, dans une région où les terres sont abandonnées, où l’agriculture ne rapporte plus d’argent, le tourisme se présente dans les années 50-60 comme une nouvelle manne financière. Fruit des 30 glorieuses, d’un embourgeoisement vécu par toutes les classes et des gains de productivité qui permettent l’éclosion d’une société de loisirs, la région finit par renforcer l’attraction du littoral au détriment des terres et de l’agriculture. C’est ce que les auteurs nomment le premier choc touristique. Elle résulte d’une politique touristique menée de manière lacunaire par l’État (SETCO, p.114) et des entreprises privées (développement de l’hôtellerie, des résidences secondaires, des campings, des villages-vacances, p.111-112). Ce développement du tourisme entraîne bien entendu le passage du secteur primaire, disons de l’artisanat, au tertiaire, une société de services. En d’autres termes, elle conduit une population rurale, travailleuse de la terre, vers les villes. C’est cela qui permet d’accroître le logement résidentiel sur le littoral (P.121) et de participer au mouvement tentaculaire des villes, ce mouvement qui se traduit par l’étouffement des villages par la ville.

Ce dernier élément est un des facteurs du deuxième choc touristique, celui des années 2000, se traduisant par un effet de saturation (P.127). Les auteurs évoquent également ce phénomène sous le nom de « retournement du territoire balanin » (idem) dans la mesure où il s’agit de la prise de contrôle par les villes de l’ensemble de l’espace périphérique, un espace absorbant de plus en plus les villages. Cela a bien sûr un effet néfaste sur les exploitations agricoles, rognées par le besoin de foncier de ceux qui souhaitent s’installer dans la région, et par le prix exorbitant des terres agraires, considérées comme rares dans l’espace urbain. Il faut ajouter à cela des revenus touristiques très volatiles, dépendants du marché, dont la région a pourtant cruellement besoin pour son développement.

Dans cette affaire, seule la naissance d’un tourisme patrimonial dans les années 80, un tourisme issu du Riacquistu, respectueux de la culture et de la nature de l’endroit, est capable de générer une économie vertueuse, une économie qui prend aussi bien en compte la demande touristique que la vie des habitants, l’identité de la région, son environnement etc.

En conclusion, l’ouvrage de Jean-André Cancellieri et Marie-Antoinette Maupertuis se présente comme une présentation pluridisciplinaire d’une région, la Balagne, touchée par des problématiques qui sont loin d’être spécifiques à la région de Calvi et d’Île-Rousse, mais qui concernent aussi bien Porto-Vecchio qu’Ajaccio, ces villes touchées par le tourisme de masse. L’ensemble du livre peut d’ailleurs se présenter comme un manifeste en faveur d’une autre forme de tourisme, un tourisme qui s’intègre pleinement, pour reprendre le terme d’Augustin Berque, au « milieu » qui dépend de lui pour son épanouissement économique.

Informations utiles

Jean-André Cancellieri (dir.), Marie-Antoinette Maupertuis (dir.), Le Jardin de la Corse. La Balagne entre les villes et campagnes (XIe-XXIe siècle), Paris, CNRS éditions, 2016, 162p., 29 euros.


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