Paul Tramini nous livre son avis quant à l’ouvrage de Marc Archippe, Le Sang des Leca, publié aux éditions Sudarenes et sacré du Prix du Livre corse 2016. 

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Le Sang des Leca n’est pas un roman mais se lit tout comme. C’est l’histoire du retour en Corse, à Evisa, d’Alisiu Leca qui est âgé d’ un peu plus de soixante ans et de sa famille, sa femme Augustine et  leurs enfants. Augustine ne connaît pas l’île et ne comprend pas la langue . Elle a suivi à regret son époux dans cet endroit perdu, épuisé par les guerres et la captivité, qui a choisi de retourner dans son village pour terminer sa vie. 

Le retour en Corse est l’occasion du rappel de leur histoire par diverses voix : Celles d’ Alisiu, de sa femme, de Giacenta, de Marie, leur fille aînée… Ils ont perdu deux enfants tout juste nés, et sur ceux qui restent, deux manquent, l’un, qui a mal tourné, en prison probablement et l’autre, mal mariée, essuie à Paris les coups de son mari alcoolique. On est replongé par ailleurs dans l’affaire de Casque d’or qui a été retranscrite au cinéma  

La Corse de l’époque, la fin du 19e siècle, est austère mais ceux qui ont besoin d’être secourus sont accueillis. Dans la maison familiale quittée à 20 ans Alisiu et les siens réapprennent à vivre dans un trois pièces dans lequel il ne reste plus un objet de confort. La famille s’adapte. On est bien loin de l’appartement parisien confortable et le confort et les cours manqueront autant que les jolies toilettes.

C’est un récit agréable à lire où se mêlent amour, guerres, touches d’ethnologie, biographie et histoire. On peut juste déplorer quelques coquilles.

Extrait 

La petite tourne les yeux vers lui et contemple la misère de son corps d’homme âgé. Mais elle sait que les vraies blessures ne sont pas apparentes et que c’est bien loin d’ici que s’en trouvent les raisons. Alors l’amour – la compassion, peut-être ? – la saisit comme une vague vous prend et des larmes lui viennent. Ce qu’elle sait, c’est qu’elle pourra continuer d’avancer. Elle a la jeunesse de ses quatorze ans, le monde qu’elle voudrait appréhender… une vie à faire. Une vie loin de Paris, loin des procès, des couteaux, des rixes et des hôpitaux Et si elle venait à douter, la main du petit Gabriel, son dernier frère, au creux de la sienne si petite encore, serait le signal qu’il ne faut pas flancher. Alors Evisa, la Corse… Qu’importe ? Qu’est-ce d’autre, la Corse, qu’un ailleurs comme le furent pour ses grands frères ces terres lointaines : la Chine pour Simon ou le Sahara pour Alexis Napoléon ? Cayenne aussi, d’une certaine manière, pour Dominique François. Seule son unique sœur, Marie, est restée à Paris. Elle y est demeurée, trop souvent agenouillée devant un homme. Mais toujours elle se relève. Marie est assez forte pour faire front.

Écroulée plus qu’assise sur un banc de bois, Augustine. C’est sa mère, elle tremble. Elle a été malade, elle n’a pas résisté. La mer lui est aussi proche que peut l’être la lune. Un autre univers en constant mouvement sous ses bottines de cuir brun. Si on devait mesurer sa résistance à l’aune des malheurs qui ont frappé cette femme on en conclurait qu’elle est indestructible. Pourtant, vingt-sept heures de vent lui furent plus insanes que les enfants morts, les barricades et le déshonneur. Elle lève la tête vers la petite « Mets ton fichu sur ta tête… Il fait un froid de gueux ! ». Et la petite s’exécute. Elle s’exécute toujours. Toujours présente aux côtés de ses parents, comme le troisième et dernier pied d’un tabouret, elle assure la stabilité de la famille. Elle ne le sait pas, la petite, qu’elle à ce rôle dévolu. Elle l’accomplit parce qu’ainsi sont les choses. On ne les constate ni ne les discute. On fait. Ce qu’elle deviendra doit beaucoup à ce silence, à cette obéissance sans contrainte.

Je dis « la petite », mais il est temps de dire qu’elle se nomme Giacenta, Giacenta Leca. On prononce Leca. Elle porte le nom de sa grand-mère Giacenta Ceccaldi. Son père pense que c’est d’elle que Giacenta tient cette force tranquille. Leca, Ceccaldi. Parmi les noms les plus anciens de Corse. Pourtant Giacenta est née à Paris». 

Informations utiles

Marc Archippe, Le Sang des Leca, Hyères, Sudarenes, 270p, 18 euros. 


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