ARTS – Francis Beretti nous présente le livre de Jacques Poncin, Matisse à Ajaccio, publié aux éditions Alain Piazzola.
A priori, l’affirmation selon laquelle Henri Matisse, l’un des grands maîtres de la peinture du 20e siècle, aurait découvert lumière et couleur à Ajaccio pourrait paraître désinvolte et complaisante. Mais pourtant, Jacques Poncin, dans son ouvrage qui vient de paraître, Matisse à Ajaccio. 1898. Lumière et couleur révélées, démontre méthodiquement, et de façon irréfutable, que c’est la stricte vérité.
D’emblée, on remarque l’équilibre de la composition de l’ouvrage, en trois parties : – un texte de présentation bien documenté détaillant le séjour d’Henri Matisse à Ajaccio en 1898, – une série d’une trentaine de photographies, cartes postales, gravures, anciennes représentant Ajaccio à la fin du dix-neuvième siècle, – et cinquante-trois reproductions des oeuvres de Matisse inspirées par sa villégiature.
L’ouvrage est bilingue (français-anglais), et même trilingue, en ce qui concerne la postface (version corse en plus).
En janvier 1898, Matisse épouse une belle toulousaine, Amélie Parayre, et part en voyage de noces à Londres, où il est fasciné par les tableaux de Turner. Ensuite, probablement influencé par un ami corse et par sa jeune épouse, il décide de voyager vers le sud.
Les premières impressions qu’il exprime sont celles de l’émerveillement devant le vert des arbres fruitiers, le bleu de la mer, le blanc des sommets montagneux, et l’éclat du soleil du midi, à tel point qu’il prévoit de s’installer à Ajaccio pendant deux ans.
En fait, il y restera un peu moins de six mois, de février au mois de juillet 1898. Un séjour court, mais particulièrement fertile. En Corse, Matisse découvre l’éclatante beauté de la nature, mais aussi la liberté artistique, loin de tout encadrement contraignant, loin de toute entrave.
« Personne n’a encore vu la Corse comme il l’a exprimée », écrit Jacques Poncin, à la suite de deux autres spécialistes du peintre.
De l’aveu même de Matisse, c’est en Corse qu’il subit « ce premier choc qui va déterminer le fauvisme ». C’est à Ajaccio que « l’incendie qui marque le passage de la lumière à la couleur se déclare », écrit l’historien d’art Pierre Schneider. La couleur conçue comme une force, et non plus comme c’était le cas dans la mode impressionniste, une imitation de la nature. « L’impressionnisme, dont on sent la présence dans certaines toiles [de Matisse] se transforme avec intensité et liberté, et c’est déjà le fauvisme » (Sarah Whitfield).
Dans ce beau livre, Jacques Poncin a rassemblé des tableaux – dont beaucoup étaient inconnus- déposés dans des fonds de France (Paris, Bordeaux, Nice, Saint Tropez), mais aussi d’Allemagne, de Russie et des Etats-Unis d’Amérique, et dans des collections privées.
L’auteur a reconstitué avec patience un séjour initiatique, une étape capitale dans la carrière individuelle d’un « géant de l’art du 20e siècle, qui a maîtrisé la couleur avec transcendance », et il prouve par conséquent que ce premier semestre de 1898 est aussi, désormais, à retenir comme étant une période marquante dans l’histoire artistique du modernisme européen.
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