« De notre monde emporté » de Christian Astolfi a reçu le Prix du livre France Bleu / Page des libraires. Cette pépite littéraire, au style vivant et rythmé, est un vibrant hommage au monde ouvrier et à ses combats.

Par : Lucia Memmi

Auteur de romans, Christian Astolfi, écrivain qui vit  à Marseille, choisit  dans ce 4e, De notre monde emportéparu en janvier 2022, de nous livrer un tableau sans concession ni atermoiement d’un monde aujourd’hui disparu. Celui des grands chantiers du var, univers qu’il a connu, y ayant été lui même ouvrier pendant 20 ans. 


Nous suivons pas à pas jour après jour la vie de Narval. Pseudo qu’on lui a donné, ouvrier, fils aimant d’un père lui-même ouvrier aux mêmes chantiers navals de la Seyne sur mer.
Le roman débute à Paris en 2015 où 4 camarades attendent un verdict sur un grand scandale qui a jeté sur eux un voile de malheur. 

Une solidarité impressionnante

Dès l’incipit, on comprend la force du drame ; on les retrouve devant un tribunal, unis, épuisés. Ils sont tous là attendant des heures durant l’arrêt de la chambre criminelle de la plus haute juridiction …Y aura-t-il la réparation attendue face au scandale de l’amiante ? 

« Autour de nous, massés sur le trottoir, débordant sur la rue, ils sont une ribambelle à nous ressembler de près ou de loin. Des hommes bien sûr, figures fripées, joues flasques, cheveux grisonnants ou clairsemés, leurs habits cachant mal l’embonpoint des uns, la maigreur des autres. Plus ou moins âgés. Mais tous tôt vieillis. Engoncés dans leurs parkas ou gabardines. Regards perdus ou dissimulés derrière leurs verres fumés. » (P 11)

Et, au chapitre suivant, nous  entrons véritablement dans l’histoire des chantiers à l’heure où la ville vivait, respirait, à leur rythme. Christian Astolfi est issu du monde ouvrier, il nous le décrit  comme étant une famille. Tous se connaissent, s’aiment. Pour lui la camaraderie se construit avec la géographie des lieux. Tous ont un surnom et dans ce travail épuisant règne une solidarité impressionnante.

Frères d’insalubrité

« En quelques mois à peine, la Machine nous lie, les Chantiers nous tiennent ferme, main dans la main, chacun important aux yeux des autres. » (P29)

Travailler aux chantiers, c’est appartenir à une communauté. C’est être « Frères d’insalubrité », nous dit le narrateur. Cette phrase résonnera vraiment dans la deuxième partie du roman.

Toutefois, Narval vit en parallèle une belle histoire d’amour avec Louise qui recherche un idéal de vie. En 1980 surviennent les premières rumeurs : le mot concurrence a traversé les continents.
Puis, en mai 1981 ce sont les élections présidentielles. L’euphorie gagne les ouvriers car la gauche est au pouvoir. Pour Narval « c’était un temps sans douleur ni chagrin ». Mais assez vite, certains déchantent. 
Aux chantiers, il y avait « comme une ligne de démarcation entre les sceptiques  et les ravis ».

Des marionnettes dans un théâtre d’ombres

Néanmoins en décembre 1982 est décidée la fusion des chantiers et cela marque le début d’une revendication. Des groupes d’ouvriers s’étaient formés, ils s’étendent et la lutte s’installe alors.

Mais qu’espérer quand les ouvriers sont

« des marionnettes enrôlées de force dans un théâtre d’ombres où ceux qui tirent les ficelles n’ont pas de visage« ?

Cette phrase du narrateur nous plonge dans une réalité effroyable. Celle de la fin de ce monde, où l’histoire industrielle des chantiers de la Seyne sur mer  va se terminer.
Le programme commun de la gauche a été remisé ; pour les ouvriers, ce moment signe la fin d’une embellie. La désillusion est grande. 

Puis à l’automne 1985, les bruits des « chantiers s’atténuent », Les machines tournent au ralenti, s’essoufflent.

L’été suivant, la lutte continue, mais la victoire n’est pas au rendez-vous et cela sonne aussi la fin de l’histoire d’amour de Louise et Narval. Elle part donc chez elle en province, à la recherche d’autres repères. 

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Dame blanche

En bref, un monde ouvrier solidaire aimant plus que tout le travail s’est effacé. La fin de l’industrialisation comme l’écrit le narrateur, les fait passer « de la gloire à l’oubli« .

Nous suivons Narval, esseulé, malheureux, dans cette ville qui ne résonne plus des bruits des chantiers. Les uns ont retrouvé du travail, tandis que les autres attendent encore, ils ont perçu des d’indemnités. Puis, voilà que Dame blanche apparaît chez ses camarades. C’est la maladie, celle que provoque l’exposition des années durant à l’amiante. Elle a frappé dans divers corps de métiers. 
Nous assistons au plus grand scandale du monde ouvrier. Les spécialistes enquêtent :

« Les chantiers avaient mis la clé sous la porte, nous étions des pourcentages, des nombres. Ils nous réveillaient, ils avaient besoin de savoir ce qui se passait dans nos corps, prévenance qui avait un goût de soupçon ».

Morts d’avoir aimé leur métier

On apprend aussi que 10 ans avant la liquidation de la société, un rapport relevait déjà que "l'amiante est un cancérigène certain pour l'homme". Ceux qui étaient informés se sont donc tus au nom du profit.

Narval assiste à la mort de ses amis, et lui-même se bat contre la maladie tout en travaillant de ses mains par besoin de retrouver l’exercice quotidien d’une tâche.
La rencontre d’un jeune photographe, fils d’ouvriers, le plonge dans ses souvenirs..

Ce roman fort bien écrit, et de surcroît bien documenté, est un témoignage hommage à ces ouvriers fiers et dignes qui morts d’avoir aimé leur métier. Ils ont été salis, on a abusé de leurs forces, de leurs vies. Les responsables du scandale de l’amiante ont ainsi accordé peu de prix à leurs existences.


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