Dans une ancienne comédie romantique, Coup de foudre à Notting Hill, Julia Roberts confie son amour à Hugh Grant par ces quelques mots : « Je suis une femme qui se présente devant un homme et qui lui demande de l’aimer ».

Si les deux amants avaient badiné par le passé, c’est la première fois que le terme d’amour est prononcé; la déclaration est accompagnée d’un don de l’actrice au libraire, un tableau original de Chagall au titre prémonitoire : La Mariée. Dans cette scène, l’acte d’amour se présente comme un don : l’amour se réifie et se place précisément entre l’aimant et l’aimé. Cet objet désigne le tableau qui est échangé ; et si l’aimé – Grant – refuse l’amour de l’aimant – Roberts, le tableau maintient une situation intermédiaire ; car l’aimé ne peut pas accepter le tableau tout en refusant l’amour qui le connote. Le tableau porte en lui le souvenir de l’amour donné à Hugh Grant, souvenir qui est ravivé par la vision portée sur le tableau et qui entraîne le héros à réparer la chaîne de l’échange. 

Dès lors, le véritable objet échangé n’est donc pas le tableau, mais l’amour lui-même. On pourrait s’y méprendre ; car les scénaristes du film ont été un peu subtils : au lieu d’utiliser un « je t’aime » attendu, ils ont opté pour une métaphore. L’effet demeure  pourtant identique : il s’agit bien d’un « je t’aime ». Or « je t’aime » fonctionne en un bloc. Il n’admet pas de suppression, pas de substitution, pas d’ajout ; c’est un mot-phrase, disait Barthes. Et c’est ce qui en fait précisément un objet, un objet que l’on vient déposer dans une discussion avec son amant. Il se place au milieu de la relation et lui fait un temps obstacle. Si ce don d’amour devient un obstacle à l’amour lui-même, c’est qu’il oblige l’autre à s’interroger sur l’utilité de cet amour : que ferais-je de cet amour ? Peut-être que l’amant ressent un amour similaire, peut-être qu’il n’éprouve rien ; peut-être encore, et c’est souvent le cas, que la question ne concerne même pas l’amour, mais l’attente qui est perçue derrière ce don ; car tout ce que sait celui qui reçoit l’amour de l’autre, c’est que ce don implique un changement de relation : l’autre ne se contente pas de donner, il attend qu’on lui donne. Je t’aime ne signifie pas qu’on aime, je t’aime spécifie une demande d’être aimé. 

L’amant donne précisément pour qu’on se donne. De là précisément provient le risque d’un amour qui désire ce qui le tue. En disant « je t’aime », l’amoureux demande à l’autre de s’interroger sur sa manière d’aimer : Jusqu’où peut-il donner ? jusqu’où peut-il aller sans prendre le risque d’être dévoré ou de dévorer l’autre ? C’est pourquoi la déclaration d’amour prend toujours l’apparence d’un seuil : elle offre ce qu’elle demande sans savoir si l’autre demande ce qu’on lui offre, soit « donner quelque chose que l’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » – forcément. 


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