par Lionel Sisti

AMSTERDAM
C’est une chanson écrite et interprétée en 1964 par Jacques Brel. Il n’a jamais fait d’enregistrement studio de cette chanson, il n’en existe qu’une version en public disponible sur l’album Olympia 1964.
En 1967, Scott Walker enregistre la première version anglaise traduite par Mort Schuman.
En 1973, David Bowie donne une version anglaise du titre sur la face B de son single Sorrow.

On danse souvent dans les chansons de Brel. Les Flamandes « dansent sans rien dire« . Rosa « est le plus vieux tango du monde« , et le Moribond veut qu’on danse à son enterrement. Citons aussi, entre autres, La valse à mille temps, Le tango funèbre. La chanson brélienne fait valoir la danse, et par extension, la fête. Mais cette fête et ce mouvement masquent un mal de vivre. Ils dissimulent l’angoisse de la mort.

La fête est une fuite en avant. Dans Amsterdam, les trois strophes où les marins se divertissent soulignent la première qui évoque leur condition humaine. Dans le port d’Amsterdam, « y a des marins qui chantent« , qui rêvent et qui meurent, mais dans le port d’Amsterdam, il y a aussi des marins qui naissent protégés par « les langueurs océanes » qui les couvrent de leur « chaleur épaisse« . La mer est aussi leur mère.

Le tableau d’Amsterdam est très réaliste. Dans une taverne, les marins « rêvent, mangent, bouffent, rotent, dansent, boivent, pissent ». Nous avons droit à une vision, et le tableau attire par ses contrastes, la vulgarité des marins rend leurs rêves émouvants, et leurs drames poignants. Il attire aussi par son grossissement épique, nous sommes captivés par l’ampleur de la métaphore :
« Ils vous montrent des dents
A croquer la fortune
A décroisser la lune
A bouffer des haubans.« 

Notons aussi cette métaphore hyperbolique qui termine le texte :
« Et quand ils ont bien bu
Se plantent le nez au ciel
Se mouchent dans les étoiles. »

La fin du texte évoque à la fois, la vue troublée et la démarche titubante des marins, avec leurs élans de têtes et leurs rêves pleins d’étoiles. C’est là aussi, que Brel rejoint les marins d’Amsterdam contre les femmes infidèles : « Et qui pissent comme je pleure sur les femmes infidèles. »

Dans cette chanson, le leitmotiv « Dans le port d’Amsterdam » ponctue chaque évocation, le balancement du rythme met de la houle tout au long du texte, et les rêves des marins pris dans les pièges de la matière se heurtent comme des vagues sur une falaise au crescendo rythmant les grands temps de leur pathétique existence : la vie/la mort, la mangeaille, la danse, la boisson, et les femmes de petite vertu.

Au son d’un « accordéon rance« , Brel nous donne un final psychodramatique pour une vision métaphorique, où la taverne devient navire, et les comportements des marins les éléments déchainés de l’océan qu’ils portent dans leurs corps : « Puis se lèvent en riant dans un bruit de tempête. »

Aujourd’hui encore, à Amsterdam et ailleurs, il y a des hommes égarés « qui dansent, en se frottant la panse sur la panse des femmes. » Aujourd’hui encore à Amsterdam, et ailleurs, il y a des hommes « qui boivent, et qui reboivent encore« , « à la santé des putains d’Amsterdam, de Hambourg ou d’ailleurs« . Aujourd’hui encore, l’humanité manque d’humanisme, et ses rêves se noient dans des océans violents, et remplis d’eau. C’est à n’y rien comprendre.


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