Sophie Demichel nous propose quelques extraits des lettres de prison de Rosa Luxembourg.

À Luise Kautsky

Wronke en P., forteresse, 26 janvier 1917.

Loulou, chérie ! Hier, j’étais convoquée (en mon absence) à Berlin, et certainement quelques mois supplémentaires de prison sont tombés. Aujourd’hui, cela fait exactement trois mois que je suis enfermée ici – troisième étape. Alors, pour célébrer ces deux dates qui tombent depuis quelques années à intervalles réguliers et interrompent fort agréablement mon existence, il faut que tu reçoives une lettre. […]

Tu as sans doute perdu pour un temps le goût de la musique et de tout le reste ; ta tête est pleine d’inquiétudes à cause de l’histoire du monde qui va mal, et ton coeur plein de soupirs à cause du comportement lamentable des Scheidemann et consorts. […] Le désastre général est bien trop grand pour qu’on se lamente. […] Quand le monde entier va à vau l’eau, alors je ne cherche qu’à comprendre ce qui s’est passé et pourquoi et du moment que j’ai fait mon devoir, je reste calme et de bonne humeur. Ultra posse nemo obligatur (nul n’est contraint à faire plus qu’il ne peut) […]. 

À Sonia Liebknecht

Wronke, 3 juin 1917, dimanche tôt.

Sonioucha, savez-vous où je suis, où je vous écris cette lettre ? Dans le jardin ! J’ai traîné dehors une petite table et je me suis assise à l’abri des regards au milieu des arbustes verts. À ma droite, le groseillier à fleurs jaunes qui sent le clou de girofle, à ma gauche, un petit troène, au-dessus de ma tête, un érable et un jeune châtaignier élancé qui tendent l’un vers l’autre leurs larges mains vertes, et devant moi, le grand peuplier argenté, grave et doux, qui fait lentement bruire ses feuilles. […] 

À Sonia Liebknecht

Wronke, le 5 juin 1917.

Sonitchka, je vous écris en ce moment très souvent, mais chaque fois j’oublie quelque chose de « pratique ». Le 4 juillet, Klara [Zetkin] aura soixante ans. Je voudrais lui offrir à cette occasion le livre de Rodin, l’Art (les entretiens avec Gsell), que vous m’aviez prêté. Je ne sais pas où on pourrait le trouver à temps (…). Si l’exemplaire commandé n’arrivait pas à temps, pourriez-vous me céder le vôtre qui est comme neuf pour que j’aie quelque chose à lui offrir le jour dit ?[…] 

À Hans Diefenbach

Breslau, 13 août 1917.

Je mène ici une vraie existence de condamnée, c’est-à-dire que je suis enfermée jour et nuit dans ma cellule […]. Après Wronke, la chute est rude, à tous ponts de vue ; ceci, non pour me plaindre mais simplement pour vous expliquer pourquoi, pour l’instant, je n’arrive pas à vous écrire une de ces lettres tissées du parfum des roses, du bleu du ciel et du voile des nuages (…). La sérénité me reviendra certainement – après tout, j’en ai en quantité inépuisable -, il faut juste que je règle d’abord certaines choses avec ma carcasse, qui jusqu’ici grippe de façon inquiétante […].

NB : […] Ne pourriez-vous pas m’envoyer un peu de littérature ? Je suis complètement à sec. Sonia m’en a envoyé un lot – que des choses improbables… Je vous joins une étude sur Shakespeare (du professeur Morgenstern). 


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