Une analyse de Jean-Pierre Denis 

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Les sportifs en particulier les athlètes de haut niveau sont poussés à l’effort et à la compétition par une tension qui s’enracine dans leur corps, mais qui leur reste difficile à nommer. Certains néanmoins essaient de témoigner de l’enjeu pulsionnel qui les traverse, c’est le cas de Kilian Jornet auteur en 2014 de Courir ou mourir, le journal d’un sky-runner ( un journal qui m’a beaucoup intéressé en tant qu’analyste. Kilian Jornet a grandi dans un refuge de montagne dans les Pyrénées, mais comme il l’écrit, « Nous n’étions pas de simples observateurs, la montagne signifiait beaucoup plus qu’un simple terrain de jeux. Au fond la montagne, c’est comme une personne vivante. » (P.10) À l’adolescence, la montagne devient un terrain de souffrance, « La compétition arriva au moment où j’entrais au lycée puisque je me suis inscrit au centre technique de ski de Montaña pour évacuer toute l’énergie que j’avais en moi. » (p. 14) C’est là qu’est née la « Fuenri’s Factory, « Un groupe d’amis avec deux idées en tête : des mètres et encore des mètres. Le reste n’avait pas d’importance. Où et comment dormir ne comptait pas, quoi manger et s’il fallait manger ou non, non plus. Il fallait s’entraîner et participer à des compétitions. » (p.21) Aujourd’hui, Kilian Jornet est devenu un athlète d’exception, il traverse la Corse du nord au sud en moins de trente-deux heures, et il entretient avec la montagne un lien exclusif qui nous fait dire qu’il fait couple avec la montagne.

Alors comment entendre la singularité de ce lien ? Ce que nous savons de l’enfance de Kilian Jornet c’est que la montagne et le ski ont été très tôt des modes de traitement d’une tension pulsionnelle. C’est sa mère Noria qui en témoigne en disant qu’elle l’a mis la première fois sur des skis alors qu’il n’avait pas encore un an, « Je ne me souviens plus vraiment s’il savait marcher ou pas. », dit-elle, « Je voulais simplement qu’il dépense ce trop-plein d’énergie qui m’épuisait. Et sur des skis, il s’est très vite débrouillé ». « On ne peut pas mourir sans avoir tout donné » On sent bien que de l’enfant qui épuise sa mère, de l’adolescent qui cherche à évacuer dans la compétition toute son énergie, à l’athlète qui épuise ses concurrents, une signification se répète, – épuiser l’autre, s’épuiser -, signification qui s’impose comme une exigence absolue, et qui nous incite à prendre au pied de la lettre le titre de son journal courir ou mourir : « parce que perdre », écrit-il, « c’est mourir », et « on ne peut pas mourir sans avoir tout donné, (…) Il faut lutter jusqu’à la mort. » (p.5)
Dans le dernier chapitre Kilian Jornet dit combien il est taraudé par le doute, avec un questionnement qui n’est pas sans rappeler celui de Descartes : « Qu’est-ce qui est réel et qu’est-ce qui est imaginaire ? » se demande-t-il, « Quelle partie de ce que nous retenons ou même de ce que nous sentons fait seulement partie de nos rêves ? Toutes ces courses et ces voyages ont-ils existé ou sont-ils seulement le fruit des caprices de mon imagination ? » (pp. 178-179) Alors comment parvient-il à échapper au poison du doute ? Il nous le dit lorsqu’il remonte en montagne : « Je descends du train sans bagage. (…) Je traverse les voies tandis que le train s’éloigne sans faire de bruit et je suis un chemin qui serpente les arbres et m’abrite de la pluie. (…)
Il n’existe aucune frontière, aucune limite, maintenant il n’y a rien qui puisse m’arrêter. Je sens le sol, je sens l’herbe mouillée, le printemps, l’odeur forte de la terre, avec le parfum caractéristique de la vie. Je suis heureux. » (p. 180). Je ferai l’hypothèse que pris entre les tenailles de la pulsion qui ne le lâche pas, et du doute qui le hante, la montagne reste sa seule garantie. Elle tient bon, toujours là, à sa place, et en ce sens, elle est garante de cette course obstinée qu’est sa vie. C’est pour toutes ces raisons que ce qu’il dit de ses courses en montagne continue de nous enseigner.


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