Dans Encore une journée divine, Denis Michelis met en scène un ancien psychanalyste, lui-même interné en hôpital psychiatrique. Un récit qui sort des sentiers battus, et qui alterne avec dextérité tragique et comique.

Par : Marie-France Bereni-Canazzi

Robert a été enfermé à Sainte-Marthe, un établissement de santé mentale. Il souffrait de dépression sévère. Il veut sortir de ce lieu et dit ne plus supporter cette entrave à sa liberté ; ni ses compagnons de chambre qu’il présente avec humour et cruauté au médecin gardien auquel il s’adresse. Les portraits des uns et des autres sont terribles. De Charles, il dira (p. 53) :

« il faut au moins que vous voyez sa tête, Docteur : on dirait une musaraigne. ».

Il s’adresse chaque jour à son psy qui est secondé par « Madame l’infirmière ». Une impression d’absurdité qui éclaire le titre et l’œuvre en écho au théâtre de Beckett ressort de leurs conversations qui paraissent à sens unique. De fait, on ne peut qu’imaginer les réactions du psychiatre.

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Robert voudrait aller en extérieur et le négocie, comme bien d’autres choses ; aussi la nourriture servie dans cet asile est l’un de ses sujets de conversation favoris. Il privilégie la conversation avec le médecin et parfois s’adresse à elle, l’infirmière, avec beaucoup de condescendance. Il pense bien souvent à leur place :

« Par exemple, à cet instant précis, je sais ce qui se trame dans votre tête ». ( p 148)

Changer de monde

Robert était lui-même psychiatre, il raconte sa vie d’avant, lorsqu’il était comme les autres, quand il avait un cabinet, des patients en nombre, malheureux et qu’il respectait les protocoles de soins, fataliste. Et puis il a donné un coup de pied dans la fourmilière : son intelligence supérieure lui a permis de se distinguer, il a voulu un beau jour « Changer le monde », titre qu’il a donné d’ailleurs à l’ouvrage qu’il a publié et qu’il présente comme un succès planétaire. En réalité, sa méthode, originale, vise, dit-il, à bousculer les conventions, à faire s’émanciper ceux qui souffrent. Il les invite par certains actes à se libérer des tutelles qui les aliènent.

Mais si le lecteur a pu éprouver une certaine compassion pour Robert ; malheureux spécialiste qui a dû être interné, il prend rapidement conscience de ses côtés obscurs. Cet analyste de l’âme humaine, déchu, est tout à la fois manipulateur, cruel, frustré, amoureux, arrogant, mythomane sans doute aussi. Le doute s’installe : a-t-il seulement écrit un livre ? Qu’est-ce qui prouve que ce qu’il dit est vrai ? Ce roman qui ressemble à un long monologue est fascinant par ce qu’il crée comme tensions. Il peut être lu comme un roman policier, comme un témoignage de descente aux enfers. Il est troublant, incisif, et nous rappelle que Denis Michelis est un auteur qui compte.


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