Un jeune homme trouve du travail dans un restaurant de prestige. Une aubaine ? Pas tout à fait. Rapidement, l’ambiance se dégrade et les relations s’empoisonnent. Avec « La chance que tu as », Denis Michelis signe un roman oppressant sur le monde salarial d’aujourd’hui.

Par : Antoine Guidicelli

Il faut lire les romans de Denis Michelis, découvrir son style. Après des années de journalisme où il s’est spécialisé dans l’entretien d’écrivains, ce traducteur qui anime des ateliers d’écriture réguliers s’est enfin tourné vers l’écriture. 

Son premier roman La chance que tu as paru chez Stock en 2014, hante la mémoire du lecteur, avec un propos étrangement familier et cependant étonnant.

À cet égard, le thème de l’adolescence confrontée à la cruauté professionnelle est rebattu en littérature. Il suffit de relire des classiques comme Illusions perdues de Balzac… Pourtant l’auteur réussit ici, avec ses mots, à donner le juste ton à sa fable moderne qui se passe dans le monde de la restauration de luxe. Il en renouvelle l’approche.

denis michelis

Un homme dont on ne connait pas l’âge ni grand-chose d’ailleurs est abandonné au Domaine, par un couple – dont on se demande si ce sont ses parents -. Le Domaine est un grand établissement de restauration luxueux, isolé dans un coin de campagne française et entouré d’une belle forêt. Un endroit beau, calme et coupé du monde pour qui voudrait s’en évader. Il ne sait quel type de contrat il a signé. L’a-t-il seulement vu ce papier qui l’a à ce point engagé ? Mais, il comprend vite qu’il faudra se battre pour survivre. Le travail est très dur et les violences régulières. L’humiliation est constante. Il doit servir, sans réfléchir, être toujours très performant et ne jamais se plaindre ni contester.

Un conte cruel

La société du personnel est très hiérarchisée. De fait, celui qui a un peu de pouvoir l’exerce sur le plus faible. Denis Michelis nous offre un conte cruel avec des phrases courtes. Ceci en nous faisant vivre en étranger, qui constate les horreurs de la condition d’exploité. En bref, une réflexion sur l’exploitation de l’homme par l’homme, sur l’envers du décor, des palaces aussi.

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On pense à l’Étranger de Camus tant il y a d’incompréhension et de passivité en ce personnage ; on referme l’œuvre empli de doute. En somme, qu’est-ce qui nous a été dit ou montré ? Une telle cruauté est-elle monnaie courante ? Pure fiction ? Possible là où il n’y a ni lois sociales ni syndicats ? Dans d’autres pays ? Et les employés étrangers que l’on croise, presque sans les voir, dans les transports ; ou que l’on aperçoit au loin, dans les cuisines des grands restaurants et hôtels, subissent-ils de tels moments de désespérance ? La Virge, Virginie, la perverse responsable de la bonne marche du service de cette hôtellerie aux aspects Haut de gamme ; pourrait-elle agir ainsi aujourd’hui et n’est-elle pas un pur produit du dérèglement social ? En réalité, y a-t-il vraiment de tels monstres dans ces corps de métier ?

Un roman dérangeant qui fait mouche et qui expose nos angoisses. Notamment celles de l’abandon. Ou du sentiment d’être étranger à son monde ; ainsi que ceux de l’innocence bafouée, du système qui broie, de la solitude, du manque de perspective et de projet. 

Certains moments de l’œuvre font se demander s’il faut y percevoir une dimension autobiographique. 

Avec Le bon fils et État d’ivresse, publiés chez Noir sur Blanc en 2016 et 2019, d’autres failles et blessures sont montrées.

Encore une journée divine, son dernier roman, paraitra à la rentrée 2021 chez Noir sur Blanc encore.

Un roman à découvrir.


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