Dans Lagunes et marais littoraux de Corse, de la Préhistoire à nos jours, Matthieu Ghilardi met en évidence les interrelations de l’homme avec son milieu dans treize zones humides essentielles de la Corse. Un voyage géoarchéologique au fil des âges et riche en surprises.
Par : Claire Giudici
Géographe spécialiste de géomorphologie et de géoarchéologie, titulaire d’un doctorat en sciences de l’environnement et diplômé de l’École Pratique des Hautes Études (EPHE), Mattieu Ghilardi est chercheur au CNRS (Centre national de la recherche scientifique). Il est également titulaire d’une habilitation à diriger les recherches et affecté au laboratoire CEREGE (Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement) d’Aix-en-Provence.
Il dirige ou participe à différents programmes ayant pour but de mieux comprendre les relations entre les sociétés humaines ; et les changements dans les paysages, notamment littoraux. Il a travaillé sur les îles de l’ensemble du bassin méditerranéen (Grèce, Croatie, Chypre, Corse, Egypte, Baléares, etc.) ; ainsi que sur les principaux fleuves du Mare Nostrum (Nil, Rhône et Aliakmon en Grèce). Mais aussi sur nos fleuves locaux. Son livre est un ouvrage documentaire, à la fois technique, précisément, grâce à ses riches illustrations et tout à fait abordable ; pour qui cherche à connaître le lieu où il vit et à comprendre les interrelations de l’homme avec son milieu au fil des âges.
Il ne s’agit pas d’une analyse exhaustive des 1000 km de côtes insulaires. Ni des quelques 200 espaces marécageux qui s’y trouvent. Mais l’ouvrage n’en présente pas moins de treize zones humides essentielles. Notamment Cala Francese, Macinaggio, l’étang de Biguglia, ceux Del Sale, de Palo, la basse vallée de l’Oso à San-Cipriano, et la zone humide (d’eau douce) qui se trouve au centre de Cavallo. Puis celles de Piantarella, de Pianottoli San-Giovanni, de Tanghiccia, de Sagone, de Crovani et le golfe de Saint-Florent. Matthieu Ghilardi en a analysé l’origine. Puis étudié l’intérêt écologique et la façon dont des populations humaines y ont vécu depuis le début de l’Holocène (il y a environ 10 000 ans). Il a aussi fait appel à des contributeurs extérieurs (archéologues, chercheurs) pour présenter les lieux et leur histoire.
Une incidence sur l’environnement
Sa technique d’analyse repose sur le prélèvement de carottes de terres dans les zones limoneuses de ces espaces naturels. Ils ont conservé l’histoire du lieu sur des milliers d’années à l’état fossile. Et les analyses permettent de battre en brèche bien des idées reçues. Non, nos ancêtres ne vivaient pas farouchement repliés dans les montagnes ! Certaines de ces zones lacustres (dans la région de Bonifacio, à Saint-Florent, etc.) sont occupées depuis le Mésolithique, 7000 ans avant notre ère. On vivait aussi bien sur le littoral que dans l’intérieur, on commerçait avec les voisins par voie terrestre et maritime. Les sociétés y ont même évolué au point que leurs activités ont eu une incidence sur l’environnement.
Ainsi, au début de l’âge du Bronze, vers 2200 avant notre ère, on note une forte activité hydro-sédimentaire dans les basses vallées des fleuves Oso, Tavignano, Aliso et Golo. Son origine est sans doute multiple. Mais elle combine des évènements climatiques avec une déforestation importante des piedmonts et des parties intérieures de l’île. Certainement afin d’augmenter l’espace cultivable mais aussi produire le volume important de bois nécessaire à la fonte des métaux. C’est à cette date que des conditions lagunaires se développent dans la basse vallée de l’Aliso. Et que l’étang Del Sale devient un étang d’eau saumâtre.
La présence du châtaigner
Ce n’est pas tout. La palynologie (analyse des pollens fossiles contenus dans les carottes) permet d’attester la présence du châtaignier à l’état naturel en Haute-Corse dès 3500 avant notre ère. Quant à sa version greffée, elle a connu un essor dès le Ve ou le VIe siècle après J.C. Bien avant l’arrivée des Génois au XIIIe siècle alors qu’on disait jusqu’à présent qu’ils en avaient initié la culture ! Les terres et le climat insulaire se prêtaient également à la présence de l’olivier, très ancien à l’état sauvage. Et dont la culture est maîtrisée dès l’époque romaine. Puis à la vigne et aux céréales. Bref, ces zones lagunaires qu’on a longtemps maudites à cause des moustiques qui s’y trouvaient, sont en réalité peuplées. Parfois presque sans interruption, depuis les âges les plus reculés.
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Le cycle de conférences prévu par Matthieu Ghilardi pour accompagner l’ouvrage est reporté en raison de la crise sanitaire. Mais il est possible de trouver le livre en librairie ou de le commander aux éditions ARAC-Orma.
L’ARAC (Association pour la Recherche Archéologique en Corse) est une association de loi 1901 dont la principale vocation est de rendre accessible et valoriser le patrimoine archéologique corse. Pour cela, Daniel Istria et Émilie Tomas ont créé la collection Orma – la Corse archéologique.
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