Dans une autobiographie pleine d’humour, Woody Allen revient sur sa carrière et sa vie privée. Un récit savoureux, mais aussi une œuvre grave, dans laquelle le cinéaste se défend contre les accusations portées à son encontre.

Par : Francis Beretti

Allan Stewart Konisberg, plus connu sous le nom de Woody Allen, est né le 1er décembre 1935.  

Afin de donner d’entrée une idée de la couleur du texte, nous reprenons parfois la formulation du récit de l’auteur.

Les parents d’Allan étaient « aussi mal assortis que Hannah Arendt et Frank Sinatra ». Ils n’étaient d’accord sur absolument rien, « à part Hitler et les bulletins scolaires » de leur rejeton.

Nettie, la maman, était une femme intelligente, courageuse, pleine d’abnégation. Mais son apparence physique n’était pas des plus sexy, puisqu’elle ressemblait à Groucho Marx. De sorte que son cas était la réfutation flagrante de la théorie freudienne du complexe d’Œdipe ; selon laquelle les hommes veulent inconsciemment tuer leur père et épouser leur mère. Quant à son père, il était heureux de vivre et se contentait de petits boulots, divers et variés, parfois répréhensibles. Il gâtait son fils. Mais s’il avait été le seul à s’en occuper, « son casier judiciaire aurait été aussi long qu’un rouleau de la Torah ».

L’éducation sentimentale d’Allan est insatisfaisante. Car au moment où le garçon espère «conclure» une sortie, les filles trouvent toujours un prétexte invraisemblable pour s’esquiver.

Allan est un cancre. Même l’école hébraïque l’ennuie, avec «ces fanatiques qui s’enveloppent dans leurs châles de prière, dodelinant du chef comme des figurines à tête branlante» ; et où l’on apprend «l’alliance que les Juifs avaient scellé avec Dieu, sans malheureusement s’assurer d’obtenir un contrat écrit».

Le projet de son cru

Afin d’éviter que sa mère ne s’immole comme un moine bouddhiste, Allan tente de s’inscrire à la New York University. Mais là aussi il s’ennuie, sèche les cours, échoue aux examens. Il est convoqué par un quatuor de doyens, qu’il assimile à un congrès de golems.  À leur question : «quel est votre but dans la vie ?» ; il répond par un extrait du Portrait de l’artiste en jeune homme, de James Joyce. Auquel il ajoute un projet de son cru : je veux, dit-il, «rencontrer la réalité de l’expérience, et façonner dans la forge de son âme la conscience incréée de ma race», et «voir si on pouvait la reproduire en plastique à la chaîne». Les golems lui conseillent de consulter un psychiatre. Mais au fond, dès son plus jeune âge, Allan a deux passions, auxquelles il allait s’adonner obstinément Manhattan et le show biz.

Allan a vu le jour dans le Bronx. Mais ses parents habitaient Brooklyn, dans l’Avenue J. Une artère commerçante, avec ses confiseries, ses épiceries fines, ses magasins de jouets, sa quincaillerie, ses restaurants chinois, la salle de billard, la bibliothèque. Et surtout, le « Midwood », le cinéma où il passait le plus clair de son temps.

Manhattan

 C’est à l’âge de sept ans qu’il découvre, ébloui, Manhattan qui allait devenir l’une des passions dominantes de sa vie. Le fourmillement des passants, les innombrables cinémas, l’immense enseigne des magasins de vêtements Bond. Et celle des cigarettes Camel qui représente un fumeur en pleine action.

Par la suite, Allan allait réaliser son rêve : habiter un «penthouse»  digne d’une production de la Metro Goldwyn Mayer et profiter «de couchers de soleil fabuleux» quotidiens. Et, en temps d’orage, des «éclairs qui zébraient le ciel du George Washington Bridge à Battery Park. Les violents coups de tonnerre étaient précédés par un majestueux flot de lumière qui inondait Central Park West et se propageait jusqu’au New Jersey, jusqu’à l’éternité».

Le panorama magique qu’il découvrait en automne ne manquait pas de susciter en lui une pointe de mélancolie existentielle : «Magique parce que les rouges et les jaunes de la nature damaient le pion à tous les pigments chimiques quel que soit le génie du peintre qui les mélange. Et grave, parce que les feuilles seraient bientôt mortes ; qu’elles tomberaient comme dans une pièce de Tchékov, et que vous aussi, vous alliez un jour vous dessécher et vous retrouver à terre ; même rituel stupide et brutal viendrait à bout de vos chères petites particules et quel sens cela avait-il ?»

La vocation du show-biz

En fait, Allan avait découvert très tôt sa vocation. Et il allait s’y tenir jusqu’au bout : faire carrière dans le show business. Il allait persévérer dans cette voie, sans prêter attention aux louanges, aux échecs, ni aux critiques. L’essentiel en art est «l’acte créateur». 

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Il a parfaitement conscience qu’il n’est pas à la hauteur d’autres gloires du cinéma. À ses yeux, la version filmique d’Un tramway nommé désir, réalisée par Elia Kazan, d’après la pièce de Tennessee Williams est «la perfection artistique absolue».

Si l’on met à part cette déclaration de foi, et l’évocation grave de la période où il a créé le «buzz médiatique», et où il était poursuivi par les paparazzi, suite à l’accusation selon laquelle il aurait abusé d’une mineure, Soit dit en passant est un bouquet  de réflexions et de bons mots souvent cocasses.

Woody Allen joue avec virtuosité dans le registre de l’autodérision. Il assume à merveille son personnage d’inculte, de névrosé, de cynique, de distrait, de paranoïaque, d’artiste surestimé. En fait, c’est sur le ton malicieux d’une confidence amicale, émaillé de trouvailles cocasses, qu’il accompagne le lecteur sur son itinéraire de vie. Soit dit en passant est une autobiographie attachante.


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